À propos de l'auteur : Serge Truffaut

Catégories : Jazz

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Serge Truffaut

De Rémi Bolduc, saxophoniste alto, on a toujours apprécié son souci appuyé pour la constance. « De-que-cé de la constance de quoi, par rapport à quoi ? », se demandera le vieux La Palice, trouble-fête en chef . Chez lui ou en lui, c’est au choix, la constance s’est toujours conjuguée avec l’exigence. Par rapport à lui, à son art, et bien évidemment par rapport à ses accompagnateurs.

Ces jours-ci, le sieur Bolduc propose un nouvel album intitulé Les Esprits oubliés. Signe énorme de l’exigence évoquée, pour mener à bien cette dernière aventure il a fait appel à des cracks qui sont les jumeaux des gros calibres : Ira Coleman est venu de New York sa contrebasse dans les bras, Jim Doxas est aux baguettes, une pianiste inconnue qui possède un touché confondant et qui s’appelle Marie-Fatima Rudolf et enfin comme surtout Jerry Bergonzi qui est au ténor le complément d’objet direct de Sax Colossus dit Sonny Rollins au civil. Rien de moins !

Avant de décliner, faut chatouiller un petit peu les entrailles de l’histoire pour mieux souligner en quoi cet album se distingue. C’est bien simple, les enregistrements mettant en vedettes deux saxophonistes sont aussi rares qu’une nappe de pétrole sur le plateau du Machu Picchu. Bien.

Mais encore, a quémandé Zazie ? Dexter Gordon s’est prêté plus fréquemment à cet exercice que d’autres. Avec Teddy Edwards et Wardell Gray d’abord, Johnny Griffin et Booker Ervin ensuite. Dans le cas de Griffin, celui-ci avait fondé un quintet ayant connu du succès avec l’autre ténor des ténors qu’était Eddie Lockjaw Davis. C’est à peu près tout.

Plus haut, on a souligné que Bergonzi était l’héritier direct de Rollins car il y a chez lui cet alliage de vélocité et de tension qui est pour beaucoup dans la densité qui fait de ces Esprits oubliés un sacré album. Peut-être faut-il confier que Bergonzi est ce qu’on appelle un « Musician’s Musician ». Bien de ses collègues de Boston où il est un professeur très réputé et de New York comme de Chicago considèrent qu’au ténor Bergonzi est un maître. Tout simplement.

À la contrebasse, Ira Coleman déploie un jeu qui fait penser au caméléon. Dans tous les genres ou styles, il s’avère un avocat de la fluidité. Cela découle peut-être du fait que chez lui, l’état de sa citoyenneté est particulièrement … fluide. Il est né en Suède d’une Suédoise et d’un père américain, mais il a grandi en France et en Allemagne avant d’étudier aux États.

À la batterie Doxas est ce qu’il est toujours : aussi solide que le rock. Pas celui des calanques marseillaises, mais bien celui de Gibraltar. Soit imposant, impérial. Quant à la pianiste Marie-Fatima Rudolf, elle est la grande découverte de cet album. Son touché, son doigté, son sens du rythme, nous a fait penser plus d’une fois au plus méconnu des pianistes modernes : Don Pullen. Et comme …

Et comme Pullen fut le dernier des grands pianistes à avoir accompagné LE géant du jazz, Charles Mingus évidemment, on tient à dire combien la pièce intitulée Game Over nous a fait penser aux albums Change One et Change Two. Il y a dans ce morceau une intensité, celle ciselée plus exactement par Bolduc et Bergonzi, qui nous ont fait penser à celle du trompettiste Jack Walrath et du saxophoniste George Adams lors de l’enregistrement des disques de Mingus.

Tant qu’à être dans les références restons-y pour mieux souligner que le morceau titre, une ballade intitulée Les Esprits oubliés, nous a fait rappeler en deux cuillères de notes la sensibilité qu’Art Pepper avait exposée après son retour sur la scène, soit dans les années 1970. Le jeu de Bolduc est aussi poignant que celui que Pepper mis de l’avant dans Today, The Trip ou September Song.

Ce qui vaut pour ces deux pièces vaut pour toutes les autres. Toutes, on insiste, composées par mister Bolduc. Cet Esprit est un sacré bon album qui n’a rien des deux défauts qui singularisent bien des productions actuelles. Lesquels ? Le jazz de conservatoire. Et d’un. Et de deux : la flagornerie. De-que-cé ? Bolduc exige un peu de nous et c’est tant mieux car ainsi il ne fait pas le lit du nivellement par le bas. Bras veau et ave !

PS: Les Esprits oubliés est disponible sur iTunes, Spotify et d’autres plateformes

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