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Serge Truffaut
Le vieux nous gâte. Et pas à peu près, pour reprendre une formule chère aux antiquaires de la langue. Voilà que le vieux qui est en fait très vieux puisqu’il affiche 98 ans, dont plusieurs de ces ans perdus sur les fronts divers de la Deuxième Guerre mondiale, propose depuis peu un coup double. Lequel ? Patience !
Il s’appelle Marshall Allen. Il joue du saxe alto, de la kora et du EVI, celui-ci est un instrument électro-magnétique probablement utilisé pour maintenir le contact avec Sun Ra. Ce dernier, pianiste et compositeur, avait posé son premier pas sur terre le 22 mai 1914 à Birmingham, Alabama. Il était originaire, a-t-il toujours affirmé, de Saturne. Il a rejoint celle-ci le 30 mai 1993 après avoir rempli le mandat, a-t-il toujours souligné, de fonder au milieu des années 50 le « plus-meilleur-big-bang » après celui de Duke Ellington. Évidemment.
Depuis que le Roi soleil est retourné dans sa chaumière saturnienne, c’est ce cher Allen qui dirige ce qu’on appelle depuis des lunes le Sun Ra Arkestra. Ancien élève, après la guerre à Paris, de Nadia Boulanger, celle dont Stravinsky, son grand ami, disait « qu’elle entend tout », Allen est le grand intendant et non président de l’Arkestra.
Plus haut on a dit qu’il nous gâtait, le vieux. Puis, on a évoqué un coup double. Déclinons. Il nous gâte, beaucoup même, car au cours des récentes années Allen a produit quatre albums dont le tout récent Living Sky sur étiquette Omni Sound après nous avoir condamnés au carême discographique pendant 20 ans. Ça, cette condamnation monastique, c’est pas très gentil. Mais bon, comme on adore ce que fait le vieux on passe.
Le coup double ? Depuis peu il propose donc ce Living Sky ainsi que sa participation à l’enregistrement au Small’s, club de Nueva Yorke, du Tyler Mitchell Octet. Ce dernier est contrebassiste. Il est évidemment celui de ses formations mais aussi de l’Arkestra depuis 1985. Paru sur l’étiquette Cellar Live-Small’s, le disque de cet octet a été baptisé Sun Ra’s Journey Featuring Marshall Allen.
Puisqu’il reste la figure tutélaire des deux musiciens évoqués et de leurs collègues souffleurs et rythmiciens, Sun Ra mérite deux ou trois précisions. Tout d’abord, faut rappeler qu’il a fondé son orchestre à Chicago. Puis il a déménagé à New York en 1961. Et lorsque les loyers sont devenus trop élevés, il s’est installé à Philadelphie en 1968.
Comme notre homme était un compositeur prolifique doublé d’un encyclopédiste du jazz et de la musique classique, il obligeait les membres de son orchestre a répéter tous les jours ! Ceci explique cela : il a produit plus de 200 albums sur son label El Saturn. Si vous ajoutez les enregistrements publiés par d’autres étiquettes vous obtenez ce qui suit : sur le flanc de la production Sun Ra est le Georges Simenon du jazz.
Il va sans dire qu’Allen étant le conservateur des mémoires sonores de Sun Ra, né ici bas soit dit en passant sous le nom d’emprunt de Herman Blount, elles constituent les colonnes vertébrales de son Living Sky ainsi que du Sun Ra’s Journey, avec ici et là des pièces écrites par Allen, Mitchell et Thelonious Monk.
Dans un cas comme dans l’autre, on se régale. De bout en bout. Il n’y a aucun déchet. Cela tient évidemment à la valeur respective à chacun des 18 membres de l’Arkestra et aux neuf de l’orchestre dirigé par Mitchell. Cela tient ensuite à l’extraordinaire richesse de l’éventail musical proposé : passer de Chopin au ragtime en passant par la traduction musicale de la science-fiction et de l’égyptologie, c’est pas évident.
On insiste : le vieux et ses acolytes nous régalent là où beaucoup d’autres distillent l’ennui.
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À propos de Small’s qui est tout d’abord un club de jazz, on tient à souligner que moyennant 14 $ par mois on peut regarder et évidemment écouter soir après soir les artistes qui s’y produisent. Quoi d’autre ? On a accès aux archives visuelles et sonores très riches car cela fait des années que Spike Wilner, pianiste et propriétaire du lieu, enregistrent les shows.
