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Capture d’écran
Serge Truffaut
Le 20 janvier dernier devant des milliers de partisans républicains rassemblés au Capital One Arena à Washington pour fêter le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, Elon Musk, l’homme le plus riche au monde, a fait le salut nazi. Histoire de bien souligner où logent ses inclinations politiques, il a répété ce geste dans la minute.
Le lendemain, une ribambelle d’éditorialistes visiblement habités par l’esprit munichois, par des pudeurs de gazelle, ont avancé que le geste n’était pas nazi. Bref, on a eu droit, c’est un constat, à une énième valse de sophistes.
Le geste en question ayant été filmé, des réseaux télés de la Vieille Europe ont donc demandé qu’en était-il à Johann Chapoutot, historien français réputé pour être un des grands spécialistes mondiaux de la culture nazie, de sa théâtralité ciselée en son temps par Joseph Goebbels.
Sa réponse fut la suivante : « Le bras tendu, avec cette inclinaison, le plat de la main parfait, c’est de fait effectivement un salut nazi. Ensuite, la défense qui consiste à dire on exagère, on s’est trompé, fait partie de la provocation du message initial qui permet d’incriminer et d’inculper la bien-pensance, les droits de-l’hommiste (…) Monsieur Musk, et il le dit, est ouvertement d’extrême droite. »
On en douterait encore, qu’il suffira de rappeler que dans les jours précédents l’intronisation de Trump, cet homme né en Afrique du Sud alors que sévissait encore l’apartheid hérité de cette ségrégation tant admirée par Hitler, a servi de faire-valoir, trois heures durant par le biais de son réseau X, aux idées du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) et de sa patronne Alice Weidel, petite-fille d’un mandarin nazi.
Dans les jours qui ont suivi l’assemblée au Madison Square Garden, Musk est intervenu pour une quatrième fois dans la campagne électorale qui a cours en Allemagne lors d’un meeting de l’AfD. Aux partisans de ce mouvement, le patron de Tesla, a martelé : « […] je pense que vous êtes vraiment le meilleur espoir de l’Allemagne ».
Musk encore : « Il est bon d’être fier de la culture allemande, des valeurs allemandes et de ne pas les perdre dans une sorte de multiculturalisme qui dilue tout.» Mais retenons surtout ce commentaire : « L’accent est trop mis sur la culpabilité du passé et nous devons aller au-delà de cela. »
On voudrait ramener le devoir de mémoire introduit par le cher Primo Levi en 1947 en une bagatelle de l’Histoire, que l’on ne dirait pas autrement.
Le vieux râleur qu’était le philosophe allemand Arthur Schopenhauer avait noté en son temps que contrairement à ce que pensaient au XIXe siècle ses contemporains ,« l’Histoire se répète, mais autrement. »
Passons à l’illustration de ce commentaire en s’appuyant sur les gestes posés par le duo Trump-Musk depuis le 21 janvier.
Une agression frontale
À peine installé, Trump a fait ce que font tous les autocrates une fois les cordes du pouvoir entre leurs mains : s’attaquer à l’information pour mieux la prendre en otage. Il a donc poursuivi ABC, CBS et a surtout commandé un bouleversement passé trop inaperçu.
En effet, le 1er février dernier, il s’en est pris au New York Times, NBC News, NPR et Politico. Qu’a-t-il fait ? Il leur a interdit l’accès à ce qu’au Pentagone on appelle le « Corridor des correspondants », soit l’ensemble des bureaux qu’occupent les journalistes chargés de couvrir la plus grosse administration de l’État et son énorme budget.
Du jour au lendemain, ces médias qui habitaient, si l’on peut dire, ce lieu depuis des décennies ont été remplacés par deux d’extrême droite choisis par Trump, soit Breitbart News et One America News, et deux qui leur sont proches, soit le HuffPost et le New York Post, propriété de Rupert Murdoch, dont on ne répétera jamais assez que selon le propos de Tony Blair formulé il y a plus de 20 ans est « l’homme le plus dangereux au monde ».
À cette violence politique, Trump a greffé également la violence symbolique. Ordre a été donné de mettre à la cave le portrait du général Mark A. Milley, ex-chef d’état-major des armées, qui voisinait ceux de ses prédécesseurs dans les couloirs du Pentagone.
Il lui a de plus retiré le badge dit de sécurité qui lui donnait accès à des secrets. Le tort de ce haut-gradé ? Sa perspicacité. Lors du premier mandat de Trump, Milley l’avait qualifié de « fasciste ». Qu’un militaire qu’on ne peut pas taxer de déviance gauchiste traite Trump de fasciste commande au minimum la prise de conscience.
L’agression numéro deux
Simultanément à l’attaque menée contre les organisations qui relaient l’Information avec un grand I, le duo Trump-Musk s’est employé à faire main basse sur les informations concernant les individus et les entreprises. La plus spectaculaire des offensives menées sur ce front est bien évidemment l’aval accordé par Trump à la requête suivante de Musk : avoir un accès total au service de paiements du Trésor.
Du jour au lendemain, Musk et son équipe de six ingénieurs seulement âgés de 19 à 24 ans et sans aucune expérience en gestion ont eu accès aux noms de millions de citoyens, à leurs numéros de sécurité sociale, à leurs dates et lieux de naissance, à leurs adresses civiques, à leurs adresses courriels, à leurs numéros de téléphone et aux informations inhérentes à leurs … comptes bancaires !
Bon an, mal an, cette division du Trésor signent des chèques d’un montant de mille milliards. Parmi les destinataires de ces derniers, on compte des entreprises déployées ici et là sur les cinq continents et qui sont en fait des paravents aux activités de renseignements effectuées par des personnes, des espions, qui, on insiste, sont payés par la division évoquée.
Cet aspect du dossier a aiguisé la colère des employés de la CIA, car selon eux en permettant à des gamins de jongler avec des masses d’informations on a facilité du coup le travail des services de renseignements étrangers, principalement de la Chine et de la Russie.
À cause de la ronde d’informations orchestrée par Musk et animée par ses ingénieurs, tous des anciens de Tesla, de Space X et de X, les initiés au contre-espionnage sont désormais en mesure d’identifier facilement les espions américains présents sur leurs territoires en trois ou quatre clics.
Grâce aux limiers du Washington Post, on sait depuis le 3 février que c’est la raison ayant convaincu la puissante et discrète société Booz Allen Hamilton, chargée par le fédéral d’évaluer les menaces posées au pays, d’interdire à Musk l’accès au service de paiement.
Dans la note confidentielle envoyée à Scott Bessent, le nouveau secrétaire au Trésor, le service juridique de Booz soulignait qu’un tel geste constituerait une« menace intérieure ». D’autant que Bessent avait accepté à la demande de Musk de nommer Tom Krause sous-ministre du Trésor en charge de la division fiscalité alors qu’il n’a aucune expérience en la matière. Krause est un techno de la Silicon Valley.
Dans la matinée du samedi 8 février, le juge fédéral Paul A. Engelmayer a rendu son verdict concernant la plainte déposée par 19 procureurs généraux d’autant d’États contre le pouvoir exécutif. Le magistrat a ordonné l’arrêt immédiat, et non la simple suspension, des opérations poursuivies par Musk et son équipe.
En plus de qualifier sa sentence « d’urgente », Engelmayer a exigé « la destruction immédiate de toutes les copies du matériel téléchargé ». On créerait demain le ministère de l’Irresponsabilité que Scott Bessent en serait le titulaire.
Agression numéro trois
Tout en lorgnant les informations du Trésor, Musk, avec l’aval toujours de Trump, s’est attaqué, avec férocité, à l’Office of Personnel Management (OPM), le Office of Management and Budget (OMB) et le General Services Administration (GSA).
On précisera que l’OPM est le gestionnaire des services publics, le coordonnateur des politiques de recrutement, des assurances des trois millions de fonctionnaires de l’État fédéral et de leurs fonds de pension. L’OMB, qui est sous l’autorité directe du président, est chargé de la préparation du budget. Le GSA est l’administrateur du parc immobilier de l’État. Bien.
S’en prendre à ces trois organisations, vouloir bouleverser leurs cultures, revient en fait à assiéger l’ensemble de l’appareil d’État. Cela revient en fait à amputer le quotidien de millions de personnes. À preuve, le courriel envoyé à deux millions de fonctionnaires les priant de démissionner dans les plus brefs délais, avec salaires d’ici fin septembre. Sinon, après cette date ce sera la tronçonneuse.
L’objectif du duo Trump-Musk est simple : privatiser des pans entiers de l’appareil d’État et imposer les robots et l’intelligence artificielle dans ce qui en restera. Rien de moins. Bref, la dictature de l’arbitraire est de retour. Ce n’est pas tout.
D’un trait de plume, Musk a aboli tous les programmes découlant de la politique dite Diversité, Équité. Inclusion (DEI) ainsi que les sommes allouées dans ce cadre. Quoi d’autre ? On a permis à Luke Farritor … En fait ce dernier résume la folie, il n’y a pas d’autre mot, qui s’est introduite au sein de la Maison Blanche.
Selon le magazine Wired qui a révélé les âges et les noms des six ingénieurs engagés par Musk pour son Department of Government Efficiency (DOGE), Farritor, 23 ans qui fut interne, et non permanent, à Space X a été nommé ingénieur exécutif.
Depuis une quinzaine, Farritor est ingénieur exécutif, tenez-vous bien, du Office of the Secretary of Health and Human Services. Il lui a été commandé de sabrer dans les budgets de Centers of Medicare et Medicaid qui contrôlent annuellement mille milliards de paiements.
Note finale : ces ingénieurs et leurs collaborateurs ont multiplié les entrevues avec des centaines de fonctionnaires en refusant de s’identifier. Leur argument ? Ils font des «sessions as one way interviews ».
Ces gamins, c’est un autre constat, combinent l’arbitraire avec la lâcheté.
La CIA, le FBI : la purge
Avant comme après la présidentielle, Trump, animé par un profond esprit de revanche, avait aligné les menaces à l’endroit de la CIA et du FBI. Il avait clairement souligné qu’il modifierait notamment les sentences infligées aux acteurs de l’assaut du 6 janvier 2021 et le travail du personnel de la CIA.
Dans le cas du FBI, Emmanuel Bove, l’avocat personnel de Trump nommé sous-ministre à la Justice, a commandé par écrit la communication des identités des 6000 employés qui ont mené les enquêtes sur le 6 janvier après que le président eût amnistié ceux qui avaient fait le siège du Congrès.
L’objectif de Bove est simple : les punir. En fait, selon Chris Mattei, avocat de la FBI Agents Association, Bove veut faire une purge. Ce syndicat ainsi que celui des employés de cette institution ont déposé autant de plaintes le 4 février contre le ministère de la Justice ! Une première dans l’histoire du pays.
En ce qui concerne la CIA, à la demande de Trump le directeur de l’agence, soit John Ratcliffe, lui a communiqué par courriel les noms et prénoms de toutes les personnes engagées au cours des deux dernières années. L’an dernier, le nombre d’individus ayant rejoint la CIA s’est avéré un record.
Il en a été ainsi parce que Williams Burns, le prédécesseur de Ratcliffe, avait décidé de mettre l’accent sur la Chine. Le budget accordé aux opérations « chinoises » est passé de 9 % en 2021 à 20 % en 2024. On retiendra que le courriel de Ratcliffe n’était pas estampillé « Confidentiel », une aubaine pour les services étrangers.
USAID et l’ONU
Le 3 février, le président a dévoilé sa volonté de sabrer dans l’USAID et de l’intégrer dans le secrétariat d’État. La réaction des employés ainsi que du public a été houleuse, car cette institution est le siège social du soft power américain. C’est pour cette raison que lors de sa création en 1961, il fut décidé qu’elle serait indépendante du secrétariat d’État. Qui plus est, son budget est minime : 38 milliards $ en 2023, soit moins de 1 % du budget total.
Dans le cas de l’ONU, le sabre fut particulièrement aiguisé : le retrait de la Commission des droits de la personne s’est accompagné de l’arrêt des subventions accordées à l’UNRWA, chargée de l’aide aux Palestiniens, de la révision de l’implication des États-Unis dans l’UNESCO et de sa participation dans l’ONU.
Trump l’impérialiste
Jusqu’à son installation à la Maison Blanche, on a cru que Trump 2.0 partagerait avec Trump 1.0 une certaine inclination pour l’isolationnisme. Très vite, tout un chacun a vite réalisé qu’il n’en serait rien. Dans les jours qui ont suivi son retour, il a dévoilé ses ambitions territoriales sans aucune retenue.
Par la force s’il le faut, il s’emparera du Groenland et du canal de Panama. Il entend faire du Canada le 51e État de l’Union. En attendant, il lui fera la guerre par la force économique. Ce qu’il entend faire également avec l’Union européenne (UE) dans les prochains mois. Bref, il a illustré ce que sera la traduction dans les faits du slogan America First si cher, on l’ignore encore, au Klu Klux Klan et aux Américains sympathisants nazis des années 1930 et d’aujourd’hui.
La plus spectaculaire et la plus outrancière de ses annonces, car elle a eu un effet immédiat, a été celle concernant Gaza. Il veut donc déplacer, par la force s’il le faut, les deux millions de Palestiniens nés en cet endroit. Où ? Principalement en Égypte et en Jordanie.
Ainsi donc, après le « Israël à la mer » si cher au Hamas voilà que Trump vient d’introduire le « Palestine à la mer ». L’homme étant la personnification du culot absolu, il a martelé que ce sont les pays voisins qui défraieraient les coûts afférents à cette Nakba, cette catastrophe, no 2.
Il est allé jusqu’à préciser que les États-Unis seraient les nouveaux propriétaires de l’endroit qu’il entend transformer en une Riviera proche-orientale. Une volonté que Jared Kushner, promoteur immobilier, et sa fille Ivanka doivent cultiver avec une profonde gourmandise.
On s’en doute, cette ambition est contraire à toutes les lois internationales. Et alors, les réactions ? Nulles, donc effarantes.
La peste brune
Dans les heures qui ont suivi le dépôt, si l’on ose dire, de ses volontés à la Maison Blanche, Trump a rénové de fond en comble le profil de Janus. Il a déménagé celui-ci des temples romains dont il était le gardien pour mieux adapter son profil à ses écarts de mythomane : côté visible, côté spectaculaire, il a incrusté le visage de Musk, côté ombre, côté sombre, celui de Russell T. Vought. On voudrait donner un nom propre au prince des ténèbres que ce dernier conviendrait à merveille.
En fervent militant de la brutalité tous azimuts, cet homme que Trump a nommé à la tête du très important Office of Management and Budget, s’est promis « de traumatiser les fonctionnaires ». C’est lui qui a imprimé sur le programme Project 2025, produit et financé par Heritage Foundation et le Center for Renewing America, la marque de l’arbitraire et surtout de la concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif, du président, d’une seule personne.
Conformément au projet central de Project 2025, Vought veut imposer « la présidence unitaire ».
Mais encore ? Une présidence qui ayant ordonné l’abolition du Civil Service Protections qui n’autorise pas le président à renvoyer n’importe qui, n’importe comment; l’abolition des enquêtes que le FBI mène depuis toujours sur les candidats à des postes de ministres et de haut-fonctionnaires; l’abolition des règles qui limitent depuis le début du XXIe siècle le pouvoir de dépenser de l’exécutif et l’abolition de l’indépendance de la justice se transformeront en une présidence impériale.
Au nom de quelle idéologie, quelle philosophie politique, Vought entend-il agir comme on vient de le décliner ? Le « Radical Constitutionnalism» qui , soit dit en passant, gommerait d’un trait la lecture « originalist », si chère à la majorité conservatrice qui domine la Cour suprême depuis des années.
Il faut bien comprendre que ce que veut faire Vought va consister à chambouler en profondeur l’interprétation qu’on se fait ici et là de la Constitution. Il est un membre d’un courant qui depuis les années 1930 veut abolir tout ce qui ressemble de près comme de loin au New Deal et qui selon ses militants est en réalité un … Jew Deal. Oui, vous allez bien lu : Jew Deal. On s’explique.
Les racistes et antisémites qui ont fondé la John Birch Society dans les années 1950 et que Bob Dylan a si bien dépeint dans une de ses chansons se sont défini comme des « Christian Nationalists ». C’est le cas aujourd’hui de Vought. Jusqu’en 1973, ils ont fait profil bas.
Puis cette année-là, Adolphe Coors, richissime brasseur du Colorado connu pour ses sympathies pour le régime nazi a financé la création de la Heritage Foundation dirigée pendant des années par Paul Weyrich qui milita toute sa vie pour la restriction maximale du droit de vote et dont le père était immigrant allemand admirateur de Hitler. Weyrich choisira comme bras droit Laszlo Pastor, ex-dignitaire du Parti nazi hongrois pendant la guerre.
En 1974, Charles Koch a fondé le très libertarien Cato Institute. Pour élever ses fils, son père, Fred, avait engagé une gouvernante allemande, cadre du Parti nazi. À l’origine de l’immense fortune de Koch Industries, deuxième plus grosse entreprise privée au monde, plus important donateur au Parti républicain des 40 dernières années, on trouve Hitler en personne.
C’est en effet à la compagnie de Fred Koch que le führer accorda dans les années 1930 le contrat de construction de la plus importante raffinerie de pétrole dans les environs de Hambourg pour les besoins de l’armée de l’air. Qu’on y songe : les bombardements de la Luftwaffe ont fait les milliards de Koch Industries. En partie, il est vrai, mais bon …
C’est donc de ces gens-là, de leurs volontés, de leurs idées, plus exactement de leurs vices aux échos immanquablement sanglants, que Russell Vought, et les actuels collaborateurs du Heritage Foundation et du Cato Institute sont les héritiers et les gardiens.
Et à quoi travaillent-ils dès à présent, mais discrètement ? Un troisième mandat de Trump ! Le parti des crédules logeant encore à l’enseigne des abonnés absents, de cela il ne faut pas s’étonner. Aussi effarant que pathétique.