À propos de l'auteur : Richard Massicotte

Catégories : International

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Richard Massicotte

Double graffiti à l’entrée de la gare de La Plata, capitale de la province de Buenos Aires : « Milei HDP », (Hijo De Puta) …

Richard Massicotte

À Buenos Aires

Comment les Argentins ont-ils célébré les Fêtes de Noël et du Jour de l’An un an après l’arrivée au pouvoir de leur président à la tronçonneuse ? L’atmosphère ne semble a priori pas si différente de ce qu’En Retrait avait constaté ces dernières années, mais en y regardant de plus près, c’est autre chose …

Certains Argentins pourraient avoir envie de souligner cet anniversaire au pouvoir de l’ultra-libéral Javier Milei. Car le pays d’Amérique du Sud a retrouvé une inflation un peu plus acceptable. Au lieu des 200 % d’inflation annuelle vécue à son arrivée à la Casa Rosada, l’Argentine vit maintenant autour des 100 % d’inflation. Mais si le Fonds monétaire international se frotte les mains et salue la venue d’une certaine stabilité économique avec La Libertad Avanza à la tête du pays, au quotidien, il en va autrement.

Consommation de viande en baisse, un repère

Réputés pour être de grands consommateurs de viande sous toutes ses formes, les Argentins ne mettent plus autant de carne, dans leurs asados. L’heure n’est plus tant de savoir si la viande grillée lentement et avec tant de saveur sous les braises traditionnelles est bien cuite (ou trop cuite, selon les goûts), mais bien de savoir si les Argentins peuvent s’en permettre autant que d’habitude.

La réponse est simple, pas autant qu’avant. Selon diverses sources et selon les plus récentes données, la consommation de viande n’a jamais été aussi basse cette année que depuis 26 ans. [1] C’est dire que les progrès de la macro-économie argentine ne reflètent pas ou très peu ce que vit le citoyen de la capitale argentine ou de la province de Buenos Aires environnante.

Résultat, il y aura peut-être eu de la viande aux diverses tables des Fêtes 2024-2025, mais pas en aussi grande quantité que d’habitude ni avec autant de variétés qu’on le voit normalement.

Mais il n’y a pas que la viande qui soit en cause, me jette Julia, fonctionnaire du gouvernement de la province de Buenos Aires, dont La Plata est la capitale. « Les chiffres officiels n’ont pas bénéficié au peuple, c’est clair. Et en plus de viande trop chère et de moins bonne qualité, il y a le lait, cher lui aussi. Et de nombreux produits sont de moindre qualité. Voilà ce qui se passe pour vrai. »

Car si les prix baissent, les salaires eux n’augmentent pas suffisamment. Donc, on continue de faire la chasse aux rabais de toutes sortes, si on peut se permettre d’acheter au supermarché ou à la fruiterie du coin, fort nombreuses en Argentine. Sinon, chez les plus pauvres, on fait les poubelles pour y trouver quelque restant comestible. Une scène de plus en plus courante.

Ce constat établi, comment est perçu Javier Milei par ses commettants ?

Milei : diviser pour régner, même dans la perception

Au sein même des familles, on ne s’entend pas toujours sur le bilan à faire des douze mois de la présidence de Javier Milei. « Pour la première fois depuis des années, on a réussi à mettre de l’argent de côté », lance Olivia [2], qui par la même occasion avoue à avoir de plus en plus de doutes sur le péronisme, alors qu’elle était pourtant très partisane jusqu’ici, défendant même à mort Cristina Kirchner (l’ex-présidente redevenue récemment chef du Partido Justicialista, fondé par Juan Domingo Perón lui-même).

Son mari Javier, syndicaliste, n’y va pas aussi fortement en appui à Milei. Pour lui, ce sont d’abord les travailleurs qui souffrent et qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Le pouvoir d’achat des plus démunis est en baisse. Un exemple : son syndicat, actif dans le commerce possède plusieurs villages-vacances, héritage du péronisme. Les deux endroits sont normalement remplis à pleine capacité, mais pas cette année, ou avec beaucoup de retard.

D’ailleurs, notre économiste en résidence, Pablo Pérez, plusieurs fois cité dans nos récits passés, en témoigne, « tout ça n’est que de la fiction », ajoutant que rien ne va plus dans l’économie réelle alors que 53 % de la population, vit sous le seuil de la pauvreté. Si Pablo Pérez campe à gauche, bien que non partisan, des échos semblables font aussi la manchette de médias de droite, comme Clarín, groupe médiatique honni de la gauche. Voyez plutôt, le titre d’un article du 21 décembre 2024 : « Les dépenses des familles, en matière d’électricité, de gaz, d’eau (ndlr : il se consomme beaucoup d’eau en bouteille ici) et de transport ont été multipliées par cinq, depuis que Milei est arrivé au pouvoir » (notre traduction) [3]

Pourquoi l’opposition est-elle si timorée ? 

Si l’économie argentine s’est améliorée aux yeux du FMI depuis un an et que la situation a empiré pour le commun des Argentins, pourquoi la rue est-elle si calme ? Pourquoi un pays où les piqueteros, manifestants qui systématiquement bloquaient des rues pendant des heures, étaient légion ne se font-ils pas entendre ?

La réponse n’est pas simple, puisque Milei, le produit des présidences précédentes, a tout chambardé dans son pays. D’abord, lui et sa ministre de la Sécurité publique, Patricia Bullrich, ancienne membre des Montoneros, ont réprimé, parfois durement, les marches de protestations contre les vetos imposés par le nouveau président sur les hausses (refusées) des prestations des retraités, notamment.

Toujours faible au Congrès fédéral, Milei y va de manœuvres de séduction auprès de gouverneurs de provinces, soit péronistes, soit dans le camp de l’ancien président Macri (2015-2019). Les sondages d’opinion, qui témoignent de la préoccupation numéro un des électeurs du pays, soit la pauvreté, penchent souvent pour Milei, ou au moins à moitié pour le nouveau président. [4] Mais de nombreux Argentins vous diront qu’ils ne croiront pas aux sondages diffusés dans leur pays. L’Argentine qui veut parfois se donner des airs d’Occident, mais qui n’arrive pas à la cheville de ce qui se fait en cette matière en Amérique du Nord ou en Europe. C’est ce qu’on entend, du moins.

Et pendant ce temps Milei …

Le président lui, plastronne. Rencontres avec Trump, avec Meloni, avec le FMI. L’organisme basé à Washington va d’ailleurs au début de l’année 2025 entreprendre de nouvelles discussions avec le gouvernement argentin. Le ministre de l’Économie, Luis Caputo, ne cache pas sa confiance : « Je suis très optimiste d’en arriver à une entente avec le FMI », disait-il à la fin décembre. [5]

Beaucoup en Occident, cherchent des comparables. Milei est-il en effet le Trump du Cône sud ? Dans le style, on pourrait parfois le croire. Mais en économie, les deux hommes sont tellement aux antipodes, que l’ex-présidente Cristina Kirchner a salué le fait que les électeurs états-uniens aient élu un président protectionniste : « Le fou (ndlr : Milei) pourrait peut-être prendre exemple sur Trump ! », a dit en substance la nouvelle chef des péronistes. Et les observateurs ne s’y trompent pas non plus. Selon Carlos Pagni, « en termes économiques, Trump ressemble plus à Cristina qu’à Milei ». [6]

Et le style de Milei, qu’en est-il ? Il ne parle plus pour l’instant d’abolir la Banque centrale argentine, ni de dollariser l’économie, mais il se dit confiant pour 2025. Et il dénonce à tout va. Les médias, même ceux de droite, Milei les prend de travers et les dénonce continuellement. Il en profite aussi pour réitérer la fausseté, à ses yeux, voulant que ses partisans ne soient que des trolls.

Mais ce n’est pas tout, il n’est plus en bons termes, pour le dire moins, avec sa propre vice-présidente, Victoria Villarruel. Récemment, il a dit qu’elle était trop proche de « la caste », et il a poussé un peu plus dans les dernières semaines en la qualifiant de « traître ». Dans une réunion de son cabinet, tenue à la Quinta de Olivos, résidence du président, tout le tintouin du gouvernement miléiste y était, sauf sa propre vice-présidente, ci-devant numéro un du Sénat argentin (élu). [7] Les médias argentins de tous bords, friands d’histoire de mœurs et autres potins, en salivent, car on juge généralement que la relation entre le président et sa vice-présidente, n’a jamais été aussi mauvaise.

Milei et l’histoire

Il est évidemment trop tôt pour faire un bilan historique de la présidence Milei. Des élections de mi-mandat auront lieu en 2025 et les tractations de toutes sortes n’ont pas fini d’alimenter spéculations et rumeurs, dans un pays qui ne croit pas toujours ce qu’il entend, ou alors qui encense le moindre commérage, c’est selon.

D’ici à ce qu’il soit établi à terme, Milei entend bien modifier la culture politique argentine. Il a commencé à faire débaptiser des lieux ou des monuments en l’honneur du péronisme, que ça soit un centre culturel à Buenos Aires, ou des images des Perón un peu partout. Tout cela ne se fait pas en criant lapin, assurent les observateurs aguerris.

Car pour Jorge Fontevecchia, journaliste vétéran de la scène politique argentine, « dans l’histoire de l’Argentine, Javier Milei ne représente qu’une page ». [8]

Et la criminalité dans tout ça ?

Le lecteur attentif aura noté que malgré un séjour d’un mois au pays d’Evita, nous n’avons fait qu’effleurer la vie quotidienne et politique de l’Argentine. Mais pendant que Javier — le syndicaliste —  me raconte les déboires des Argentins, l’alarme du voisinage sonne. Oups … un de ses voisins, septuagénaire, qui fait ses déplacements en motocyclette, vient de se faire voler, en plein jour, son petit deux roues. Il n’y a pas à dire, un séjour en Argentine, ça donne le tournis.

Et dire que le gouvernement Milei a décrété 2025, l’année de la reconstruction de l’Argentine. À. Suivre. Ou. Pas.

           

 

 

[1] https://www.infobae.com/revista-chacra/2024/10/19/el-consumo-de-carne-vacuna-cayo-al-nivel-mas-bajo-de-los-ultimos-26-anos-en-argentina/

[2] Nom fictif.

[3] https://www.clarin.com/economia/gasto-familias-luz-gas-agua-transporte-quintuplico-ano-llego-milei_0_8ogkR7aLlx.html?srsltid=AfmBOoqAhPRSLqJVPaniRDG3Tdr3V30FI-FEaUQegiEMGjP8HEgpiwMY

[4] https://www.infobae.com/politica/2024/12/10/encuesta-la-inflacion-dejo-de-ser-la-principal-preocupacion-de-los-argentinos-y-cristina-kirchner-es-la-principal-opositora/

[5] https://www.clarin.com/economia/luis-caputo-revelo-objetivo-2025-acuerdo-fmi-super-optimista_0_qz60Kj64a4.html

[6] https://www.perfil.com/noticias/ciclo-de-entrevistas/carlos-pagni-milei-es-astuto-con-el-manejo-del-poder.phtml

[7] https://www.lavoz.com.ar/politica/milei-reunio-a-su-gabinete-en-olivos-para-una-cena-de-balance-de-fin-de-ano/

[8] Entendu dans « Milei, un año despues », une série de cinq entrevues de fond menées par Le monde diplomatique, Edición Cono sur, https://www.youtube.com/watch?v=fH65NPGgNk4

« Pour être honnête, il fait chaud et il n’y aura pas de cadeaux »

Prise d’écran La Nación, 18 décembre 2024

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