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Paul Tana
Vu hier après-midi : Maurice le dernier documentaire de mon copain Serge Giguère. Le Maurice du titre c’est le prénom du grandissime et mythique joueur de hockey des Canadiens de Montréal : Maurice Rocket Richard. Il a joué pour le CH de 1942 à 1960 et l’équipe, avec lui, a remporté huit coupes Stanley ! Ah quelle belle époque !
C’est Robert Tremblay, cinéaste farouchement indépendant, anticonformiste, sensible aux plus humbles et pour qui le sport est « la forme plus universelle de la culture » qui est à l’origine de ce film dont la production aura duré 35 ans !
Tout ce temps parce que Robert ne réussit pas à donner une forme cohérente à tout le matériel tourné. Les années passent et en plus il tombe malade et sait que ses jours sont comptés. Il demande alors à Serge son ami, complice et caméraman de toujours, de terminer le film.
Comme il le dit dans une magnifique scène, chez-lui devant sa table de montage, les yeux rieurs et brillants malgré la gravité du moment : ce sera un film à quatre mains !
Et il ajoute cette pensée de Marc-Aurèle : « En te levant le matin rappelle-toi du privilège que tu as de vivre, de respirer et d’être heureux. »
Robert meurt en 2018.
Serge se retrouve devant le puzzle que représentent toutes ces images de Maurice Richard contenues dans les milliers de pieds de pellicule 16mm qu’il a lui-même tournés.
Que faire ?
La solution qu’il trouve est ingénieuse et donne lieu à un film où l’image publique, mythique, héroïque de Maurice Richard se mêle à une image plus intime et discrète, d’une émouvante modestie.
D’une part, par exemple, les images en noir et blanc, désormais fort célèbres, de l’émeute devant le Forum de Montréal provoquée par son expulsion du jeu pendant une grande partie de la saison de 1955 de la LNH (Ligue nationale de hockey).
D’autre part, celles, en couleur, tournées par Giguère et Tremblay qui suivent Maurice, après qu’il ait, comme on dit, accroché ses patins. Avec une patiente bienveillance, il dirige une pratique de hockey des étudiants en difficulté d’apprentissage de l’école où Robert fait de la suppléance; il les accompagne à une partie de pêche …
Le film se construit dans ce rapport contrasté entre l’intime et le public, entre Maurice Richard le père taciturne et bienveillant, au sourire presque ironique, et le joueur de hockey/héros au regard perçant capable de soulever des montagnes : compter cinq buts pendant une partie qu’il joue après avoir déménagé tous les meubles de sa maison. C’est l’histoire que nous raconte son coiffeur pendant qu’il lui coupe les cheveux ! Un grand et joli moment du film !
Il y a aussi Robert Tremblay et Serge Giguère en train de tourner notre héros : les claquettes, les identifications des prises, les plans de fin de journée où Robert invite M. Richard à une autre possible journée de tournage. On devine alors la précarité de la production du film, le fil subtil et fragile qui unit les artisans derrière la caméra et les « acteurs » qui sont devant.
Un film dans le film en quelque sorte, mais sans prétention formaliste, qui surgit tout droit de l’amitié qui unit Robert et Serge, et qui l’incarne de façon organique.
Ses images célèbrent Maurice Richard mais aussi l’amitié des deux cinéastes et leur ardent désir de faire le film.
Maurice Richard a un statut mythique dans la culture québécoise : il est le héros qui casse avec son talent, sa bravoure et sa volonté la destinée funeste du Canadien-français « né pour un p’tit pain ».
Toute une partie du film s’emploie à expliquer les composantes du mythe du rocket par l’entremise d’une entrevue avec Benoit Melançon, professeur de littérature à l’Université de Montréal et auteur de Les yeux de Maurice Richard : une histoire culturelle. Ses propos, en soi intéressants, sont inscrits de façon récurrente dans le montage et glissent de manière assez efficace dans la narration. Mais je me suis demandé s’ils sont essentiels dans ce film qui se situe à mille lieues de l’intellectualisme didactique qui les caractérise.
« C’est Maurice Richard qui est si populaire. C’est Maurice Richard qui score tout le temps ! ». Ainsi va l’ode au Rocket d’Oscar Thiffault, une autre figure emblématique de la culture populaire canadienne-française des années 1950.
Serge Giguère, en passant, a fait avec lui un film splendide !
Trente ans plus tard on voit Oscar qui interprète sa chanson devant Maurice Richard qui est venu lui rendre visite : il l’écoute avec un petit sourire retenu, assis dans la cuisine.
C’est une très belle scène, à la fois tendre, naïve et vraie.
On y célèbre un héros mais de manière discrète, simple, souriante sans fla fla rhétorique ni ornementation déclamatoire.
Son panthéon est une cuisine : quoi de plus beau !
La scène ressemble au film et le film lui ressemble.
A voir !
Maurice
RÉALISATION : Serge Giguère SCÉNARIO : Serge Giguère et Francine Tougas
PRODUCTION : Sylvie Van Brabant, Sylvie Krasker, Amélie Lambert-Bouchard (Films du Rapide-Blanc) DIRECTION DE LA PHOTOGRAPHIE : Serge Giguère, Katerine Giguère CONCEPTION SONORE : Sylvain BellemareMONTAGE : Benjamin Duffield
MUSIQUE : Bertrand ChénierQuébec: 2025 Durée : 90 min.
Étoiles : ***1/2
Tremblay me disait que « Le scoreur » serait un bon titre pour le film. Il avait une entrevue avec Benoît Lacroix, Dominicain, qui utilisait abondamment ce mot.