À propos de l'auteur : Daniel Raunet

Catégories : International

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Daniel Raunet

Pied de nez à la justice espagnole réussi, hurlements de rage à droite, l’ex-président de la Catalogne Carles Puigdemont est rentré d’un exil de sept ans en évitant tous les barrages de police … dans le véhicule d’un policier catalan ! Il a même réussi à se payer une allocution électrisante devant ses partisans en plein milieu de Barcelone, à deux pas du Parlement régional, avant de disparaître dans la foule et d’échapper de justesse à ses poursuivants … grâce à un feu de circulation ! Il a depuis franchi la frontière française pour rentrer à son domicile de Waterloo, en Belgique.

Faire l’indépendance est un droit inaliénable, a déclaré l’ancien président de la Generalitat, non sans se livrer à une charge à fond de train contre la justice espagnole : « Nous sommes dans un pays où la loi d’amnistie n’est pas une amnistie. Nous avons un problème de nature démocratique. Ça ne nous intéresse pas d’y rester. »[1] Pourtant, ce retour rocambolesque est loin de constituer une victoire pour le leader indépendantiste.

Où sont les foules d’antan ?

Jusqu’au référendum réprimé par Madrid en 2017, les indépendantistes pouvaient faire sortir des millions de leurs compatriotes dans les rues. Le 8 août 2024, le retour du leader indépendantiste n’a mobilisé que quelques milliers de personnes, 3500 selon la police, avant tout une majorité de têtes blanches. S’il s’agissait de ranimer la flamme, la côte va être dure à remonter.

Juste avant son retour, le Tribunal suprême d’Espagne a maintenu le mandat d’arrêt contre Puigdemont et deux de ses collègues exilés, un refus flagrant par ces juges ultraconservateurs d’appliquer la loi d’amnistie telle que votée. L’ancien président régional est accusé de « malversation aggravée de fonds publics » lors de l’organisation du référendum de 2017 sur l’indépendance, bien que n’ayant pas empoché le moindre sou personnellement. Non seulement ce tribunal considère que l’amnistie d’un tel délit serait contraire à la constitution espagnole, mais il a également saisi la Cour de justice européenne pour faire invalider la loi au nom des droits de la personne de l’Union européenne.

Le socialiste Salvador Illa vole la vedette

Puigdemont a raté son premier objectif : empêcher les socialistes de prendre le pouvoir en Catalogne. Le leader du parti Junts per Catalunya, l’une des deux formations principales de l’indépendantisme catalan, s’était promis de prendre son siège au Parlement catalan le jour de l’Investiture d’un nouveau président de la région, mais il s’est abstenu de plonger dans la souricière que lui avaient tendue les policiers (ils l’attendaient jusque dans les égouts et les souterrains du bâtiment).

Pendant qu’il s’évanouissait dans la nature, son groupe parlementaire essayait en vain d’obtenir une suspension de l’assemblée d’investiture. Cette manœuvre n’a réussi qu’à prolonger d’une trentaine de minutes l’heure de l’apéritif. Deus ex machina ? Zorro ? Houdini ? L’apparition spectaculaire de Puigdemont n’a pas entravé l’élection, en soirée, du socialiste Salvador Illa à la tête de la Generalitat.

Grâce à 68 voix contre 66 : 40 députés socialistes, plus les huit d’En Commun (gauche radicale espagnoliste), plus les 20 survivants de la déroute électorale de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), l’autre grand parti indépendantiste. L’opposition est on ne peut plus disparate : les indépendantistes de Junts, les conservateurs du Parti populaire, l’extrême droite espagnoliste avec le parti Vox, l’extrême droite indépendantiste avec Aliança Catalana et les indépendantistes anticapitalistes du parti CUP.

Une page d’histoire est tournée

Le nouveau président de la Catalogne ménage les sensibilités des perdants, il réclame l’application de l’amnistie des indépendantistes « de façon souple, rapide et sans subterfuges », faisant allusion ainsi au sabotage de la loi par les juges conservateurs. Salvador Illa promet également de ne pas démanteler l’édifice nationaliste édifié par ses prédécesseurs. Il met toutefois un point final aux velléités de séparation et affirme vouloir œuvrer pour une Espagne « plurinationale » dans une Europe multinationale.

La Catalogne entre dans une phase sociale-démocrate de son histoire. Salvador Illa, ancien ministre de la Santé du gouvernement espagnol de Pedro Sánchez, se donne pour priorités la conclusion d’un pacte fiscal avec Madrid favorable à la Catalogne, la lutte contre la crise du logement, l’amélioration du système de santé, la création d’un réseau de transport solide dans les banlieues, le renforcement de la fonction publique. Un programme qui a reçu l’aval du gouvernement indépendantiste sortant de la Gauche républicaine.[2]

Les problèmes sont désormais à Madrid

La poursuite de la répression judiciaire contre les indépendantistes comme Puigdemont pourrait se résorber si le Parti populaire et le Parti socialiste espagnol appliquaient de bonne foi leur récent accord sur le déblocage des nominations de nouveaux juges. La clef réside dans le choix d’un président du Conseil général du pouvoir judiciaire (l’équivalent de notre Conseil de la magistrature) qui devient automatiquement président du Tribunal suprême d’Espagne. Or, même si le Parti socialiste et le Parti populaire ont accepté de se répartir à égalité les nominations des nouveaux juges, la droite conservatrice boycotte la nomination d’un magistrat libéral. Le franquisme n’est pas tout à fait mort.

La survie à Madrid du gouvernement Sánchez ne tient qu’à un fil, le soutien parlementaire que les partis nationalistes et indépendantistes de Galice, du Pays basque et de Catalogne lui accordent. Déjà, les députés madrilènes du parti Junts ont pris langue avec le Parti populaire. Avant son retour, leur chef, Carles Puigdemont, a fait savoir qu’il n’était pas marié aux socialistes. L’ancien président de la Generalitat plongera-t-il l’Espagne, par dépit, dans une nouvelle ère conservatrice ? L’Histoire risque de juger sévèrement celui qui avait proclamé jadis la république catalane pour se rétracter deux jours plus tard et s’enfuir en Belgique.

 

 

[1] Xavier Miró, « Puigdemont : encara som aquí”, Nacio Digital, Barcelone, 8 août 2024. https://www.elpuntavui.cat/politica/article/17-politica/2447110-puigdemont-encara-som-aqui.html

[2] Joan Serra Carné et Carme Rocamora i Seguí, « Salvador Illa, investit 133èpresident de la Generalitat”, Nacio Digital, Barcelone, 8 août 2024. https://naciodigital.cat/politica/salvador-illa-investit-133e-president-generalitat_1965770_102.html

 

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