À propos de l'auteur : Richard Massicotte

Catégories : International

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Depuis son arrivée au pouvoir à Buenos Aires fin 2023, on a souvent comparé le président Javier Milei à Donald Trump, redevenu récemment le big boss de la Maison Blanche. Les deux chefs d’État semblent avoir beaucoup en commun, bien que leurs contextes sociaux, politiques et nationaux respectifs diffèrent. Mais une chose ressort grandement des effets de leurs deux présidences, ce côté anxiogène parfois dominant, que provoque cette présence à la tête de leur pays. Parfois, on voudra ainsi se protéger de l’intoxication de deux hommes. Sans proposer de mode d’emploi, En Retrait tente ici de voir comment les Argentins vivent avec/sous Milei, sans toutefois vouloir se suicider.

Richard Massicotte

À Buenos Aires

Disons-le d’emblée, ceci n’est pas une recette ni un guide qui se serait intitulé Comment survivre mentalement à l’ère Trump 2.  Mais en se servant de l’exemple argentin avec l’année au pouvoir de Milei, on peut voir comment un peuple tente de garder la tête hors de l’eau. Depuis un an – Trump 2 n’est là que depuis un mois – que font les Argentins non partisans de Milei (les autres, c’est à voir) pour passer au travers de l’ère Milei ?

D’abord reconnaître l’échec, la défaite

Sans trop donner dans le psycho-pop, disons qu’il aura fallu un certain temps aux Argentins avant d’accepter que leur pays était maintenant dirigé par un libertarien (un tantinet ?) psycho-fasciste. En Retrait s’est penché à quelques reprises sur les raisons de cette débâcle, nous n’y reviendrons pas. À deux reprises en 2024, nous avons pu voir l’évolution de ce sentiment, à la fois résigné et résilient, qui anime les Argentins.

Il n’y a certes pas de solution infaillible et de plus les Argentins sont aussi occupés à subir une crise économique bien des fois plus graves que ce peuvent vivre les Étasuniens. Mais compte tenu de la dureté de la vie, justement, on ne sent pas de panique, contrairement à ce que laissent souvent paraître les réactions entendues au sud de la frontière Canada-USA, sans parler de chez-nous.

« Non, je n’écoute pas Milei », entend-on souvent

Donc, non, pas de panique en Argentine. Mais une des choses les plus simples et les plus courantes remarquées dans la région de Buenos Aires – région anti-Milei d’élection – est qu’on se refuse à écouter ou à lire Milei dans les médias, qu’ils soient traditionnels, radio, télévision, journaux ou sociaux, le réseau X, notamment. On a l’air de se dire que de toute façon ses décisions annoncées finiront bien par les rattraper.

Résultat : quand Milei parle en direct à la télévision, tous les postes – souvent ouverts à longueur de journée dans de nombreux foyers – sont éteints. Cela s’est produit récemment lors de l’annonce du récent budget du gouvernement fédéral argentin, selon ce que nous confiait notre syndicaliste Javier [1]. Et hop, on coupe le sifflet à l’imbuvable et on s’en va compter les pesos qu’on aura pour la semaine.

Certes Trump 2 n’est pas Milei

On vous entend déjà dire, « ouais mais Milei n’est pas aussi agressif que Trump 2 ». Cela reste à voir et par ailleurs nous sommes d’accord, comparaison n’est pas raison. La seule comparaison valable à cet égard serait de comparer Trump 1 à sa plus récente version;  ce n’est pas notre propos.

Trump 2 réussit à semer la panique ou du moins l’effroi chez de nombreux électeurs démocrates étasuniens voyant, à juste titre, leur pays reculer dans plein de domaines. Les Argentins, eux, sont déjà habitués et sont très cyniques face aux politiciens, même face au péronisme, qui semble de moins en moins la solution à leurs sempiternels problèmes. Ce cynisme, une fois n’est pas coutume, aide à appréhender un politichien – Milei adore les chiens – comme le chef de la Casa rosada, siège du gouvernement fédéral à Buenos Aires.

Ce qui aura sans doute aussi pour effet de rassurer un tant soit peu l’électeur argentin moyen c’est de voir que Milei n’a pas autant d’élus dans son camp que Trump 2. Milei ne contrôle pas le Congreso argentin comme le fait Trump à Washington D.C. De temps en temps, donc, quelques députés cassent la baraque ou rompent les rangs de Milei, ou en sont expulsés, s’ils ne suivent pas la ligne de parti. Les egos étant ce qu’ils sont, on peut parier que la m*rde heurtera bientôt le ventilateur [2] aux États-Unis comme en Argentine. Répétons-le : Trump 2 ne vient que de faire son entrée.

Qui souffre le plus ?

Sérieusement, venons-nous vraiment de poser cette question ? Eh oui, et voici pourquoi, sinon comment. Curieusement ou pas, les médias, même sociaux, semblent plus forts, plus influents aux USA qu’en Argentine. Et ceux-ci attirent beaucoup de lecteurs qui, voudra-t-on dire, s’auto-infligent Trump 2 eux-mêmes. Il n’y a qu’à voir les réactions d’Étasuniens en ligne, que ça soit sur X, Facebook ou même Bluesky, plus récent refuge des résistants à Trump 2. Il y aurait ici sans doute lieu de doser, à chacun de voir.

Bien sûr, l’Argentine aussi est affectée par l’omnipotence des médias sociaux et autres. Mais il y a encore une vie sociale très forte dans ce pays, même en ville, ce qui change de l’individualisme tout-puissant aux États-Unis, surtout dans les grandes villes. Et quand on se rencontre, soit on ne parle pas de Milei, soit on ne le nomme pas, si on parle de lui

Trump 2 provoque la panique ailleurs dans le monde

Certes, voici une différence majeure entre Trump 2 et Milei. Le premier tente d’ameuter l’opinion publique à l’extérieur de son pays : Canada, Danemark, Panama, Colombie sont pour l’instant dans sa mire. Le Mexique aussi visé, réagit avec plus de mesure. La Chine semble attendre son heure. La Russie ? Rien pour le moment.

Mais qu’à cela ne tienne, et à son échelle, le gouvernement Milei a commencé à effectuer des visites aux frontières de la Bolivie et du Brésil, à la stupéfaction de ses deux voisins ! Revenant d’une visite en Bolivie, où l’Argentine a construit une clôture à la frontière avec son voisin, la ministre de la Sécurité publique, Patricia Bullrich a ensuite lancé : « Nous allons maintenant visiter la frontière avec le Brésil où il y a de nombreux passages et beaucoup de problèmes .» [3]

Accepter l’inacceptable : oui l’extrême droite monte partout ou presque

L’Argentine et les États-Unis ont ceci en commun qu’ils traversent chacun et à divers degrés une crise constitutionnelle. Les deux présidents agissent souvent anticonstitutionnellement. Le terme revient fréquemment en Amérique du Sud et on l’entendra souvent dans les quatre prochaines années à Washington.

La représentante Alexandria Ocasio-Cortez  l’élue démocrate connue sous le pseudo d’AOC y a fait allusion fin janvier. « Il faut dire la vérité : c’est une crise constitutionnelle. C’est un accaparement massif et illégal du pouvoir que la Chambre [des représentants] et le Sénat doivent arrêter. » [4]

Cela dit, un des remèdes à l’oppression, si tant est qu’on la vive, c’est une certaine acceptation. Les Boris Cyrulnik de ce monde en ont fait leurs choux gras depuis des lustres. Et selon l’historien Christian Ingrao, spécialiste de l’histoire du nazisme, qui vient de co-publier Le monde nazi,  « depuis une quinzaine d’années, l’hégémonie culturelle a progressivement basculé à droite, et même à l’extrême droite. À quoi bon se battre contre une lame de fond quand on dispose seulement d’une petite cuiller ? »[5] [6]

Le cas du Maine, un refuge (parmi d’autres) pour anti-trumpistes

Chacun sera libre de réagir à sa manière. Soit suivre Trump 2 et Milei dans leurs moindres soubresauts et s’insurger à tout moment, soit le voir sur une plus longue période et patienter. À chacun son combat, et à chacun son approche,  il va sans dire. D’autres voudront aussi se réfugier, d’une manière ou d’une autre. Un de ces refuges est le Maine.

Le Maine est l’un des États américains, les plus près du Québec, à de nombreux égards. Il partage avec nous une frontière de plusieurs centaines de kilomètres. [7] On y trouve de nombreux Franco-Américains, dont plusieurs parlent encore français, comme on l’a constaté lors de la tuerie de Lewiston [8] et comme En Retrait en fait régulièrement le constat en s’y rendant chaque année. [9]

Territoire peuplé d’un million quatre cent mille personnes, boisé à 85 %, le Maine n’est pas sans rappeler plusieurs régions du Québec, dont il est voisin, géographique et climatique, entre autres. La vie y est calme en général et le taux de criminalité est le deuxième plus bas aux USA [10], alors que les marchands d’armes y sont légion, côtoyant souvent des boutiques de cannabis, légal dans cet État.

Ce n’est pas Trumpland ici, bien sûr ! Aux dernières élections présidentielles, le Maine a donné trois votes du Collège électoral à Kamala Harris et un à Trump. Sa gouverneure, démocrate, n’a pas manqué de dénoncer les tarifs douaniers annoncés par le président [11], tandis que les deux représentants du Maine à la Chambre des représentants sont aussi démocrates. Les deux sénateurs du Maine sont un indépendant et une républicaine, non-trumpiste. Susan Collins a d’ailleurs voté contre la nomination du nouveau secrétaire à la Défense, Pete Hegseth [12].

Là-bas comme ailleurs aux États-Unis, les réactions aux coupes draconiennes de Trump et à ses tarifs douaniers « stupides » [13] ne se font pas fait attendre. Pour le Maine, ne mentionnons à cet égard que les refuges pour femmes, financées uniquement par le fédéral et qui ne savent plus comment répondre aux besoins criants dans ce domaine. Mais quand on vit dans la paix relative, ça aide à endurer un des pires présidents que les États-Unis ont eu depuis un siècle.

On ne risque donc pas de croiser Trump sur une plage du Maine l’été prochain, pas plus qu’on ne verra Milei dans la province de Buenos Aires, là où il est le moins populaire. Il pourra toujours retourner faire un tour à Mar-a-lago, se réfugier chez son maître à penser !

Et si En Retrait n’avait qu’un avis à formuler, pour passer sereinement au travers de tout ça, ce serait peut-être celui-ci, venu d’Antonio Gramsci, lui-même inspiré de Romain Rolland :

« Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté. »

 

 

 

[1] Voir En Retrait de janvier 2025.

[2] Traduction libre de l’expression jadis très en vogue dans le milieu journalistique : the shits hits the fan.

[3] https://www.infobae.com/politica/2025/01/28/en-medio-de-la-tension-con-bolivia-patricia-bullrich-anuncio-que-tambien-reforzara-los-controles-en-la-frontera-con-brasil/

[4] https://newrepublic.com/post/190820/alexandria-ocasio-cortez-donald-trump-medicaid-freeze

[5] https://lejournal.cnrs.fr/articles/quand-les-nazis-triomphaient

[6] https://www.tallandier.com/livre/le-monde-nazi/

[7] https://www.erudit.org/fr/revues/cgq/1974-v18-n43-cgq2617/021180ar.pdf

[8] Tuerie survenu le 25 octobre 2023, qui a fait 18 morts et 13 blessés.

[9] L’auteur de ces lignes vit à environ vingt minutes du premier poste frontière situé entre le Québec et le Maine, en Estrie.

[10] https://www.safewise.com/blog/safest-cities-maine/#:~:text=2024%20Maine%20crime%20rates&text=Maine’s%20violent%20crime%20rate%20is,crime%20rate%20in%20the%20US.

[11] https://www.maine.gov/governor/mills/news/governor-mills-statement-trump-administrations-tariffs-announcement-2025-01-31

[12] https://www.collins.senate.gov/newsroom/senator-collins-statement-on-nomination-of-pete-hegseth-to-serve-as-secretary-of-defense

[13] https://www.wsj.com/opinion/donald-trump-tariffs-25-percent-mexico-canada-trade-economy-84476fb2

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