À propos de l'auteur : Serge Truffaut

Catégories : International

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Serge Truffaut

Au cours des premières semaines suivant son installation à la Maison-Blanche, Donald J. Trump s’est attaqué d’abord aux mots qui, greffés les uns avec les autres, permettent de formuler des idées qui, selon lui et ses kapos de la médiocrité politique sont en fait l’embryon de ce qu’on nomme la gauche.

La chasse aux 100 mots choisis par Trump et les siens a pour objectif d’obliger tous les employés de la fonction publique, y compris les mandarins de celle-ci, à gommer l’existence de tout ce qui évoque l’univers LGBTQ ainsi que tout ce qui se rapporte aux Noirs, aux Asiatiques, aux Hispaniques … Bref, les « races ».

Suivant la chronologie établie par les concepteurs du Projet 2025, tous militants de la version sud-africaine du Christian Nationalism, soit la version nazie, l’exécutif s’est attaqué après coup aux livres. Un inventaire volontairement non clairement défini s’est d’ores et déjà soldé par la mise au feu des livres écrits, par exemple, par les écrivains noirs.

Ce chapitre de la récente histoire de Trump 2.0 a atteint son point d’orgue le 8 mai dernier lorsque par le biais du communiqué le plus laconique qui soit, Carla Hayden, premier Noir et première femme nommée bibliothécaire en chef de la fameuse Library of Congress, a appris qu’elle était renvoyée.

Cet épisode a ceci de riche en enseignements divers qu’il est en fait l’application à la lettre de la recommandation, pour ne pas dire l’ordre, formulé par le contingent des bigots rassemblés au sein de l’American Accountability Foundation (AAF).

Cette dernière a réclamé le renvoi de Carla Hayden parce que sur les rayons de la Library of Congress, dont l’un des mandats est d’enregistrer et conserver toutes les publications Made In USA, se trouvaient des livres pour enfants aux contenus jugés radicaux par l’AAF et des livres écrits par des opposants à … Trump. Par ailleurs, l’AAF demande que d’autres bibliothécaires soit licenciés.

Simultanément à tous les coups de fouet infligés à la sphère publique, Trump et les siens ont bouleversé les conseils d’institutions culturelles comme le Smithsonian Institute ou le John F. Kennedy Center for the Performing Arts. Une fois tout cela fait, ils se sont attaqués au coeur du savoir : les universités.

À l’assaut de Harvard

Après avoir été surpris par la soumission avec laquelle la direction de l’université Columbia s’était pliée à ses diktats, Donald J. Trump, encouragé par cette docilité, a décidé de s’attaquer à celle qui symbolise l’éclat de l’université américaine dans le monde : Harvard.

Dans la soirée du 14 avril, la Maison Blanche annonçait qu’elle gelait 2,2 milliards $ US de fonds fédéraux. Un peu plus tard, l’exécutif indiquait qu’il allait étudier la ventilation des neuf milliards $ US alloués par le Fédéral à cette université et aux écoles qui lui étaient liées comme le Massachusetts Institute of Technology (MIT).

Cet ordre était la conséquence du refus d’Harvard de soumettre à Washington un certain nombre de rapports, de modifier ses mécanismes d’admission, de modifier ses politiques d’engagement, de faire appel à des personnes ou des entités externes à Harvard afin d’examiner les programmes des facultés, essentiellement les sciences humaines, qui alimenteraient l’antisémitisme en plus d’avoir un penchant pour l’étude de l’univers LGBTQ et du monde afro-américain.

Ce qui laisse pantois dans cette histoire c’est la paresse intellectuelle, l’indifférence juridique avec laquelle le président Trump a mené son agression. On s’explique. La majeure partie des 2,2 milliards est en fait la somme d’avantages fiscaux accordés par le fédéral.

Or il se trouve que la loi qui balise le mandat de l’Internal Revenue Service (I.R.S) interdit formellement au président comme au Congrès d’ordonner quoi que ce soit à l’I.R.S. Le président demanderait à un fonctionnaire de cette agence de faire ceci ou cela, celui-ci serait dans l’obligation de le signaler au surveillant général de l’I.R.S qui devrait à son tour le signaler au ministère de la Justice. Sinon ? L’employé serait passible d’une peine d’emprisonnement.

La négligence juridique avec laquelle Trump et compagnie ont poursuivi Harvard s’est traduit par un effet boomerang  si majeur que pas moins de 160 (!) universités et organisations ou entreprises diverses ont décidé d’imiter Harvard. Soit poursuivre l’exécutif sur la base légale choisie par les avocats d’Harvard.

Celle-ci est en réalité un loi, qualifiée d’inoffensive de prime abord par les initiés aux choses juridiques, votée en 1946 sous le nom de Administrative Procedure Act. Son objectif ? Interdire toute décision relevant de l’arbitraire, du caprice d’un président ou d’un abus discrétionnaire.

Selon la loi en question, la Maison-Blanche était dans l’obligation de communiquer un avertissement solidement argumenté et assorti d’un délai pour régler le contentieux au terme d’une négociation. Or aucune des obligations contenues dans cette loi n’a été observée.

On répétera et retiendra que 160 institutions diverses ont emprunté la voie légale choisie par Harvard.

NPR et PBS

La paresse juridique évoquée plus haut a également caractérisé la gestion du dossier NPR et PBS, soit les chers radio et télévision publiques. Le 1er mai dernier, Trump a donc annoncé le gel des fonds fédéraux à venir et le remboursement de ceux alloués à l’exercice en cours. Plus mesquin que ça, tu meurs.

Selon la logique déclinée par Trump, il reviendra à la Corporation for Public Broadcasting (CPB) d’infliger aux deux réseaux la punition décidée par le président. Le hic, c’est qu’elle a été fondée en 1967 suite à une loi votée par le Congrès à la demande du président Lyndon B. Johnson. En novembre 1969 naissait PBS et en 1971 NPR.

La CPB ayant été créée à la suite d’une loi du Congrès, elle n’est pas assujettie à l’autorité du président. Il revient donc au Congrès de revoir et modifier, s’il le souhaite, le mode de financement. Autrement dit, sur ce flanc également, Trump a tout faux.

Heureusement pour lui, le réseau des faux semblants, des mirages politico-juridiques, soit Fox évidemment, est toujours là pour camper le rôle des derviches tourneurs du sens et du bien commun.

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