À propos de l'auteur : Rudy Le Cours

Catégories : Économie

Partagez cet article

Antoine Char

Rudy Le Cours

La plupart des ménages canadiens refont leurs calculs pour joindre les deux bouts à cause de l’augmentation du coût de la vie.

Pendant ce temps, à Ottawa, Québec ou Queen’s Park, les gouvernements apprécient le baume de l’inflation sur les plaies budgétaires annoncées.

Plus grimpe l’indice des prix à la consommation et plus se remplissent les coffres de l’État, en somme.

Dans les mises à jour budgétaires présentées cet automne, aux allures de mini-budgets, les ministres des Finances du Canada, du Québec et de l’Ontario ont présenté des comptes publics en bien meilleur état que leur scénario printanier, pourtant marqués par un optimisme prudent.

À court terme, la poussée de l’inflation, amorcée il y a maintenant un an, fait grimper les rentrées des taxes sur la consommation. Les impôts des particuliers augmentent aussi puisque les hausses de salaire consenties propulsent une plus grande part de leurs revenus dans des paliers d’imposition plus élevés. Au surplus, l’impôt sur les profits des entreprises a aussi ballonné.

À Ottawa, « les revenus devraient être supérieurs de plus de 30 milliards à ceux du budget de 2022 » pour chacune des cinq prochaines années », observent Jimmy Jean et et Randall Bartlett du Mouvement Desjardins. « Même si l’on ajoute des dépenses de programmes et les frais d’intérêt plus élevés (…) le gouvernement fédéral devrait tout de même afficher des perspectives de déficit drôlement embellies », poursuivent-ils. (1)

L’État gagne sur tous les fronts

Prenons l’exemple de la mise à jour du Québec présentée le 8 décembre, en ayant en tête que les observations suivantes valent aussi pour celle d’Ottawa et de Queen’s Park.

En mars dernier, le ministre des Finances Eric Girard s’est aligné sur un solde budgétaire négatif de 6,45 milliards. 

En décembre, il observe désormais des rentrées fiscales accrues de 4,5 milliards tandis que ses sociétés d’État lui ont apporté un pactole gonflé de un milliard. Il en additionne un de plus grâce à une bonification des transferts fédéraux et des dépenses moins élevées qu’anticipé. 

Malgré un service de la dette accru lié à des besoins d’emprunt accru et à la hausse des taux d’intérêt, le ministre parvient à la fois à remettre des chèques de 400 et de 600$ à la grande majorité des contribuables dans le cadre de son bouclier anti-inflation qui lui coûte 5,1 milliards et à présenter un solde budgétaire désormais estimé à moins 4,78 milliards, après dépôt de 3,25 milliards au Fonds des générations. Autrement dit, un déficit réel prévu de 1,53 milliard seulement. (2)

Le poids de la dette

En termes absolus, l’accumulation des déficits, même moins élevés que prévu, augmente la dette. Il faut la financer par des emprunts accrus dans un contexte de hausse marquée du loyer de l’argent. Ainsi, la dette brute (la valeur totale accumulée des emprunts) passera de 210,9 milliards cette année à 230,7 milliards en 2024.

L’inflation gonfle toutefois la valeur des biens et services produits durant cette période exprimée en dollars courants (le produit intérieur brut nominal, ou PIB nominal). Ainsi, le poids de la dette par rapport au PIB nominal passe de 41,8 % à 40,4 % durant la même période, soit une diminution de 1,4 point de pourcentage.

Il y a mieux encore, si on prend plutôt la dette nette comme référence. Pour l’obtenir, on soustrait de la dette brute la valeur des actifs financiers de Québec, comme ses participations dans des sociétés comme Hydro-Québec. Or, cette valeur a aussi gonflé grâce à l’inflation. Par conséquent, le poids de la dette nette qui équivaut à 38,1 % du PIB nominal pèsera 35,7 % en 2024, une diminution de 2,4 points (3). 

Bref, en termes relatifs, la dette s’allège sans diminuer, grâce à l’inflation alors qu’en des temps où la hausse des prix est contenue dans la fourchette de 1 % à 3 % visée par la Banque du canada, c’est avant tout la croissance réelle de l’économie qui diminue son poids.

Le ralentissement observé de l’activité économique cet automne, susceptible de se transformer en légère décroissance déjà escomptée par les trésoriers fédéral et provinciaux, ne changera pas la trajectoire du poids de la dette. La poussée de l’inflation en 2022 aura donné un élan durable (un point de départ plus élevé) aux variations futures des revenus fiscaux.  

Pour inverser cette tendance, il faudrait à la fois une récession profonde et un effondrement plutôt qu’un ralentissement de l’inflation. À l’heure présente, ce scénario ne figure pas dans les boules de cristal des grands argentiers du Trésor public, ni dans celles des prévisionnistes. D’aucuns argueront qu’ils se sont trompés par le passé. À ces prophètes de malheur, nous opposons cette vieille blague selon laquelle ils ont prévu douze des deux dernières récessions.

Un choc différent

Celles et ceux qui doivent rembourser un prêt hypothécaire savent jusqu’à quel point la hausse du loyer de l’argent mord agressivement dans leur budget. Le taux préférentiel des grandes institutions financières canadiennes s’établit à 6,45 % maintenant. En début d’année, il s’élevait à 2,45 %. Il s’agit d’un bond de quatre points de pourcentage qui représente un coût de plusieurs milliers de dollars par année pour les ménages hypothéqués à taux variable. Ce taux varie selon le taux préférentiel, auquel les institutions ajoutent une marge de profit fixée selon la probité de l’emprunteur.

Pour les deux-tiers des détenteurs de prêts qui ont opté pour un taux fixe, le choc sera ressenti au moment du renouvellement. Les institutions financières affichent un taux de 6,49 %  ces jours-ci pour un prêt à taux fixe de cinq ans. Rappelons que, pour prêter, les banques empruntent sur les marchés. Leurs profits proviennent de l’écart entre leurs coûts d’emprunts et les taux exigés à leurs clients.

Pour les gouvernements, en particuliers provinciaux, le choc est beaucoup plus ténu parce qu’ils empruntent directement sur les marchés financiers pour des durées plus longues, essentiellement de 10 et de 30 ans. 

La politique monétaire est efficace sur les taux d’intérêt à court terme. Plus l’échéance est longue et plus ce sont les prêteurs qui fixent le loyer de l’argent et non la Banque centrale.

Or, beaucoup de détenteurs ou gestionnaires de capitaux peinent à trouver des débouchés dans lesquels ils ne veulent pas risquer de perdre  leurs mises. C’est le cas notamment des compagnies d’assurance et des caisses de retraite qui doivent placer une partie de leurs billes dans des véhicules jugés sûrs. Pour elles, détenir une partie de la dette du Canada, du Québec ou de l’Ontario devient presque un must.

Voilà pourquoi Québec a pu emprunter 600 millions pendant 10 ans le 11 avril, au début du présent exercice budgétaire, en obtenant un taux de 3,25 % de ses prêteurs. En refaisant l’exercice le 2 décembre, ceux-ci ont exigé un taux de 3,84 %, soit seulement 59 centièmes de plus. 

Le Québec a même pu emprunter une tranche de 500 millions venant à échéance en 2055, le cinq décembre, en consentant un taux de 3,895 %, soit à peine six centièmes de point de plus que trois jours plus tôt, mais pour une durée accrue de 23 ans (4).

Entre le 11 avril et le 5 décembre, le taux directeur de la Banque du Canada est passé quant à lui de 0,5 % à 3,75 %, un bond de 3,25 points de pourcentage.

Cela signifie plusieurs choses: les prêteurs sont disposés à obtenir un rendement inférieur au taux d’inflation au moins durant l’exercice en cours; ils s’attendent à ce que le taux d’inflation revienne avant longtemps dans la fourchette de 1 % et 3 % et,  surtout, la dette du Québec représente un placement sûr et liquide, c’est-à-dire monnayable en cas d’imprévus, quitte à sacrifier du rendement.

Cap sur le printemps

Les mises à jour automnales n’équivalent pas aux exercices budgétaires du début d’année. D’ici mars ou avril, la conjoncture économique se sera transformée quelque peu, voire beaucoup. 

Quelle qu’elle soit alors, les ministres des Finances devront ajuster le cap. 

Québec pourra-t-il aller de l’avant avec les baisses d’impôt promises en campagne électorale, susceptibles de créer un manque à gagner récurrent ? 

Plusieurs observateurs décrient cet engagement qui aura des effets régressifs sur l’impôt des particuliers, sans stimuler l’économie. Pour combiner efficience et équité fiscale, Pier-André Bouchard St-Amant, professeur de finances publiques à l’ENAP, propose un recentrage des baisses d’impôts (5). Cela pourrait fonctionner à la manière du bouclier fiscal, mis en place il y a quelques années, pour favoriser le retour au travail des personnes pour qui occuper un emploi et payer des impôts représentaient un appauvrissement par rapport à l’aide minimale que leur fournissaient plusieurs mesures sociales combinées.

Et puis, il faudra voir aussi comment s’y prendra-t-on pour financer le manque à gagner des sociétés de transport collectifs, sans même compter les coûts toujours sous-évalués de la transition écologique dont on mesure l’ampleur durant la COP 15 de Montréal.

Chose certaine, il s’agit de deux enjeux que l’inflation ne peut pas régler.

(1) https://www.desjardins.com/content/dam/pdf/fr/particuliers/epargne-placements/etudes-economiques/canada-budget-mise-jour-novembre-2022.pdf

(2) Le point sur la situation économique et financière du Québec, automne 2022, pages A6-A17

(3) Idem, page E5

(4) http://www.finances.gouv.qc.ca/documents/emprunts/fr/EMPFR_Quebec_2022-2023.pdf

(5) https://plus.lapresse.ca/screens/f644dbc8-39e3-49a0-af53-a00ef4761ca2__7C___0.html?utm_content=ulink&utm_source=lpp&utm_medium=referral&utm_campaign=internal+share.

À propos de l'auteur : Rudy Le Cours

Laisser un commentaire