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Jean-Claude Bürger
On les voit régulièrement dans les photos reportages ou les images vidéo; Ils paradent avec arrogance en treillis militaires souvent armés jusqu’aux dents, et arborent à l’ombre du drapeau américain, insignes et étendards généralement liés à des organisations d’extrême droite.
Ils sont fermiers, chômeurs, ex-policiers, coiffeurs, garagistes souvent anciens combattants. Ces hommes et plus rarement ces femmes se sont constitués en groupes paramilitaires prêts à combattre pour des causes qui bien souvent semblent d’inspiration paranoïaque. Ils font partie de ce qu’on appelle aux États-Unis le mouvement milicien.
Sa nature a évolué mais le phénomène n’est pas nouveau. Dès la guerre d’indépendance on trouve des miliciens. Dans la région de Concord, par exemple Les Minutemen du Massachussetts ne faisaient pas partie des troupes régulières de la colonie.
Ces citoyens devaient s’armer eux-mêmes et avaient fait serment d’être prêts à combattre sans délai en cas d’agression (1). Ils s’illustrèrent entre autres en 1774 dans la bataille de Lexington et Concord, premier affrontement qui opposa les habitants des 13 colonies aux troupes britanniques qui venaient mater la rébellion …
Obsession identitaire
Cette référence historique n’est pas anodine. Elle explique en partie un aspect de la mythologie des miliciens et de celle de leurs sympathisants, qui se plaisent à fonder leur légitimité sur la grande tradition patriotique révolutionnaire américaine. La lutte contre l’autorité devient rébellion contre l’oppression. L’obsession identitaire devient autodéfense contre la menace de l’autre, de l’étranger.
Dans les années soixante d’ailleurs, un militant de droite, Robert De Pugh obsédé par la crainte d’une insurrection communiste, utilisa le terme « Minutemen » pour son organisation dont les membres étaient appelés à stocker des armes en vue d’une contre-révolution.
Plus tard encore, au début des années 2000, Cris Simcox créa le Minuteman Civil Defense Corps pour lutter contre l’immigration clandestine mexicaine. Ses patrouilles armées surveillaient la frontière pour pallier, disaient-ils , les politiques laxistes d’Obama et Biden.
En dehors de leur référence historique commune rien ne caractérise particulièrement ces deux milices par rapport aux dizaines d’autres qui forment cette galaxie protéiforme que le FBI a baptisée « le mouvement milicien ».
On oublie parfois que le second amendement de la Constitution qui garantit aux citoyens le droit de porter des armes le fait explicitement dans le but de former des milices citoyennes celles-ci étant nécessaires selon les pères fondateurs, à la sécurité d’un État libre.
En joue avec un Kalachnikov
Les temps ont peut-être changé mais pas le deuxième amendement.
Le premier quant à lui, garantit la liberté de parole et la liberté d’expression politique et religieuse. Il forme avec le second un dangereux cocktail.
Il peut en effet s’avérer assez délicat, en cas de polémique, de s’inscrire en dissidences face aux arguments d’un opposant qui vous tient négligemment en joue avec un Kalachnikov.
Ces deux amendements semblent en quelque sorte garantir dans les faits, un droit d’intimidation, qui éclaire l’aspect légal des spectaculaires exhibitions d’armes de guerre lors de manifestations ces dernières années.
De nombreuses milices se disent constitutionalistes c’est-à-dire respectueuses de la légalité constitutionnelle (2). Elles se considèrent comme des organisations communautaires prêtes à intervenir en cas de catastrophes naturelles … ou politiques…
Elles se veulent garantes des droits individuels protégés par la Constitution et s’entraînent au maniement des armes comme à une sorte de divertissement sportif qui peut devenir utile en cas de défaillance ou de trahison par les autorités … Les animateurs de ces milices affectent de porter une révérence quasi religieuse aux intentions des pères fondateurs, qui font l’objet de multiples exégèses. (3)
Ils ont également une défiance marquée pour le pouvoir fédéral et veulent limiter au minimum le rôle des gouvernements.
Pas un ensemble homogène
D’autres milices se présentent d’emblée comme plus menaçantes. Elles sont issues d’organisations d’inspiration haineuse ou complotiste : nostalgiques du KKK, suprématistes blancs, néo-nazis, ou partisans des théories Q Anon.
Les quelque 181 groupes paramilitaires recensés par Southern Poverty Law Center (4), ne présentent pas un ensemble homogène ni ne sont chapeautés par une direction nationale.
Il semble donc très difficile d’évaluer le nombre de membres, ces sortes d’armée privées. Certains sympathisants ne participent que sur internet. Les rares estimations que l’on trouve sont très prudentes et avancent des chiffres entre quinze et vingt mille membres actifs. (4) Mais des hackers ayant pénétré les archives des Oath Keepers, qui sont sinon la première du moins une des plus importantes milices de droite, disent avoir trouvé un fichier de 30 000 adhérents alors que les chercheurs s’entendaient pour évaluer leur effectif à environ 5000.
Les Oath keepers, dont le nom évoque le serment que prêtent les soldats lors de leur incorporation dans l’armée régulière, privilégient le recrutement de « veterans ». Ceux-ci sont prisés pour les armes qu’ils possèdent et leur expérience des tactiques de combat.
Cette organisation paramilitaire, se compose d’un large réseau peu structuré de milices qui sont persuadées que le gouvernement a été coopté par une sombre conspiration dans le but de priver les Américains de leurs droits. Souvent mal reclassés, les vétérans nostalgiques de la fraternité des armes, y trouvent une reconnaissance et un respect souvent absents chez le reste de leurs contemporains.
Terrorisme intérieur
Le pourcentage croissant d’anciens combattants préoccupe Les autorités policières et les observateurs spécialisés qui estiment qu’ils représentent aujourd’hui environ 25 % de l’effectif des différentes milices.
Dans le même temps le nombre d’actes de terrorisme intérieur perpétrés par des vétérans souvent membres de ces milices ainsi que par des membres actifs de l’armée n’a jamais été aussi important. (5)
La tentative de renversement du gouvernement du Michigan et d’enlèvement de sa gouverneure Gretchen Whitmer par 14 miliciens, a été spectaculaire, mais le fait qu’ en 2020 le FBI a enquêté sur 68 cas d’anciens combattants impliqués dans des crimes et délits reliés à l’extrémisme est passé plus inaperçu.
Lors des événements du 6 janvier à Washington le CSIS relevé dans les rangs des émeutiers la présence de vétérans, de réservistes, de membres des milices entre autres Sons of Liberty New Jersey, Groyper Army, Oath Keepers, Proud Boys, Boogaloo Bois, et Three Percenters, ainsi que des partisans de l’organisation complotiste QAnon. Le FBI a déposé des accusations concernant 31 vétérans , quatre policiers et trois anciens officiers de police. (6)
Mais en le 6 janvier 2020 avec les Proud Boys (7), ce sont les Oath Keepers qui ce jour-là ont pris le devant de la scène. Il n’est pas impossible qu’ils aient mal évalué jusqu’où leur aventurisme pouvait bénéficier du flou d’une Constitution probablement surannée bien que sanctifiée par les institutions.
En ce début octobre leur chef Stewart Rhode, présenté comme un spécialiste du droit constitutionnel doit répondre à des accusations de sédition et risque avec ses quatre co-accusés 20 ans de réclusion pour rébellion armée.
Depuis l’attentat d’Oklahoma City de Timothy McVeigh en 1995 nombre d’attentats de la droite américaine ont eu pour but avoué de choquer la population et de provoquer une guerre civile.
Ce qui semblait il y a quelques années encore le phantasme d’esprits sérieusement perturbés représente aujourd’hui un danger bien réel. Il semble même que c’est de ça que le président Trump a menacé le peuple américain quand, refusant de condamner les milices il leur a demandé : « Stand back and stand by » (8) lors de la dernière campagne présidentielle.
- 1 ) À l’époque contrairement aux milices contemporaines ils répondaient au congrès du Massachusetts et n’étaient pas véritablement une armée privée
- 2 ) Voir entre autres la communication de Amy Cooter dans le Scientific Americain du 1 juin 2022
Citizen Militias in the U.S. Are Moving toward More Violent Extremism
- 3 ) Décompte du Southern Poverty Law Center Organisme spécialisé dans la dénonciation des mouvements suprémacistes et la défense des victimes du racisme
- 4 ) The Military, Police, and the Rise of Terrorism in the United States CSIS Briefs (Center for Strategic and International Studies )
- 5 ) Voir à ce sujet: Matt Wakulik fondateur des Iron City Citizen Response Unit dans une entrevue longue mais très représentative qu’il a accordée dans Mostly Politics with Bob and Sherry le 31 mai 2022 sur YouTube
- 6 ) ibid
- 7 ) Milice réservée aux hommes, qui en réaction à l’évolution des mœurs s’efforce de promouvoir une philosophie délibérément machiste, hostile aux féministes et homophobe. Elle affirme par ailleurs la supériorité de l’Occident, et celle des valeurs de l’homme blanc qui ont présidé à son épanouissement. Prétend se consacrer à leur défense et au droit de porter des armes.
- 8 ) Matt Gaetz and Steve Bannon said an ‘army of patriots’ and ‘shock troops’ should take over the government if Trump runs and wins in 2024
Cheryl Teh. À voir dans l’épisode du 9 décembre 2021 du podcast de Seve Bannon « War Room » sur Youtube