À propos de l'auteur : Louiselle Lévesque

Catégories : Canada

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Mark Carney a été élu, dimanche le 9 mars, pour succéder à Justin Trudeau par une écrasante majorité des quelque 150 000 militants libéraux qui ont pris part au vote.

Louiselle Lévesque

Un nouveau chef au Parti libéral du Canada (PLC), un nouveau premier ministre à la tête du gouvernement fédéral, un nouveau cabinet, une campagne électorale imminente, les évènements s’enchaînent à Ottawa à une vitesse folle dans un climat de crise et d’extrêmes tensions avec la nouvelle administration à Washington.

Mark Carney a été élu pour succéder à Justin Trudeau par une écrasante majorité des quelque 150 000 militants libéraux qui ont pris part au vote. Cette victoire survient au terme d’une course plutôt terne au cours de laquelle il ne s’est pas particulièrement illustré, ni par son charisme ni par la clarté de son plan d’action.

Sa feuille de route impressionnante comme économiste et ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre semble avoir été l’élément déterminant compte tenu de l’offensive protectionniste américaine à laquelle le pays fait face. Son manque d’expérience politique n’a pas pesé lourd dans la balance.

L’arrivée de Mark Carney apporte au PLC un souffle nouveau et l’espoir d’échapper à la débâcle électorale qu’on lui prédisait depuis des mois et des mois. Les aiguilles des sondages ont bougé et le chef du Parti conservateur du Canada (PCC), Pierre Poilievre, qui, hier encore, croyait la victoire assurée, voit toutes ses certitudes s’envoler.

Un Poilievre déstabilisé

La recette qui faisait le succès du chef conservateur et qui allait le mener sans l’ombre d’un doute au sommet de sa carrière politique a soudainement perdu de son pouvoir d’attraction. Rien n’est plus pareil.

Retournement de situation pour le moins surprenant qui place Pierre Poilievre devant la nécessité de revoir sa stratégie basée essentiellement sur le « gros bon sens » et la détestation de Justin Trudeau et de ses politiques.

Justin Trudeau, cible privilégiée de toutes ses attaques, qu’il rendait responsable de tous les maux (le wokisme étant l’un de ses sujets favoris), n’est plus aux commandes. Le chef conservateur devra désormais faire porter à son nouvel adversaire, qui a été conseiller du gouvernement Trudeau ces dernières années, le fardeau du bilan désastreux qu’il dresse du règne libéral.

Pierre Polievre pourrait-il se faire tirer le tapis sous les pieds ? La question se pose devant la remontée des libéraux dans l’opinion publique. Car plutôt que la dette et le déficit, le coût de la vie et la crise du logement, la question de l’urne pourrait bien consister à choisir la figure politique qui pourra le mieux défendre les intérêts du pays dans la guerre commerciale déclenchée par le président américain et face à un Donald Trump qui étale sans retenue ses visées expansionnistes sur le Canada et ses ressources naturelles.

Du Canada brisé au Canada d’abord

Pour endosser de façon crédible les habits de Capitaine Canada, Pierre Poilievre devra se débarrasser d’un boulet qu’il traine en raison de ses affinités idéologiques avec le nouveau locataire de la Maison-Blanche et le mouvement MAGA (Make America Great Again) qui a porté Donald Trump au pouvoir.

Ses sympathies affichées à l’endroit du « Convoi de la liberté » qui a assiégé Ottawa début 2022 en pleine crise sanitaire ont laissé des traces. Ce convoi qui réunissait complotistes, antivax et suprémacistes blancs a bénéficié du soutien financier de l’extrême droite trumpienne.

À quelques reprises, le multimilliardaire Elon Musk, homme de confiance du président américain, a fait l’éloge du chef conservateur pour ses positions libertariennes. C’est pourquoi les critiques que Donald Trump a formulées récemment à l’endroit de Pierre Poilievre ont semblé être reçues avec un certain soulagement. Le principal intéressé s’est empressé de clamer sur X sa non-appartenance à MAGA et son engagement pour le Canada d’abord.

Le chef conservateur cherche, on s’en doute, à se dissocier de la mouvance MAGA mais Mark Carney pourrait dans le contexte actuel utiliser ce thème à son avantage croit Brian Tanguay, professeur de science politique à l’Université Wilfrid Laurier.

« Est-ce qu’il pourrait présenter Pierre Poilievre comme étant une sorte de version légère de Donald Trump ? Il faut dire que le discours et même le style politique de Pierre Poilievre ressemblent beaucoup à ceux de Donald Trump. »

Par ailleurs, le chef conservateur doit éviter de tomber dans des attaques trop virulentes contre le président américain pour ne pas se mettre à dos une frange importante de ses partisans souligne le professeur Tanguay.

« Poilievre lui-même est un peu coincé entre sa base, une bonne partie qui aime le style vulgaire de Donald Trump, le style autoritaire en même temps. Donc Poilievre ne peut pas confronter le phénomène Trump de la même façon que Mark Carney pourrait le faire. »

Un sondage de la firme Léger effectué du 28 février au 2 mars 2025 montre que seulement 60 % des sympathisants du Parti conservateur du Canada ont une opinion défavorable du président Trump alors que cette proportion grimpe à 95 % chez les sympathisants du PLC, du Bloc québécois et du NPD.[1]

Un engouement passager ?

Brian Tanguay fait un parallèle entre le contexte actuel et celui de 1993. « Tous les deux (Brian Mulroney et Justin Trudeau) étaient tellement détestés par les électeurs que ça a donné l’apparence que le parti de l’opposition pouvait rafler tous les sièges. »

Lorsque Kim Campbell est devenue chef du Parti progressiste-conservateur et première ministre en juin 1993, il y avait, rappelle-t-il, une petite fenêtre où elle semblait représenter quelque chose de nouveau et de différent de Brian Mulroney. Mais sa piètre performance en campagne électorale lui aura été fatale. Les progressistes-conservateurs n’ont conservé que deux sièges sur les 295 que comptait la Chambre des communes à l’époque.

« Et je me demande si la même chose se passera maintenant. Peut-être. Mark Carney représente quelque chose de nouveau. Il n’est pas Justin Trudeau et c’est ça que la plupart des électeurs veulent avant tout. Mais la campagne électorale n’a pas encore commencé. C’est donc un cas où la campagne va être très très importante. Beaucoup plus que normalement. »

Le politologue croit que Mark Carney a des raisons de s’inquiéter étant donné son inexpérience de la joute partisane alors qu’il aura à affronter un politicien aguerri. Mais le nouveau chef libéral a aussi des atouts dans sa manche comme son parcours remarquable dans le monde financier canadien et international. Il projette l’image d’un homme sérieux et rassurant, une qualité en ces temps de turbulences nous dit le professeur Tanguay.

« Est-ce que Mark Carney pourrait créer des doutes ou renforcer des doutes dans le cerveau des électeurs à propos de Pierre Poilievre, qu’il est un peu simpliste dans ses solutions aux grands problèmes et nous avons beaucoup de problèmes qui sont fondamentaux à ce moment-ci. Est-ce que ses solutions ne sont que des slogans ? »

Ce désir d’être rassuré explique, selon Brian Tanguay, une grande partie des mouvements dans les sondages depuis l’annonce de la démission de Justin Trudeau. « Tout d’un coup, Marc Carney apparaissait aux électeurs comme un politicien sérieux qui représente quelque chose de différent. »

Une crise existentielle

La campagne électorale sera cruciale pour Mark Carney croit le politologue qui s’attend à des débats polarisants. « Ce sera probablement la campagne électorale la plus importante depuis celle de 1988, la campagne autour du libre-échange parce que ça soulève une sorte de crise existentielle qui mobilise le pays entier. »

Et ces temps d’incertitude, les électeurs pourraient accorder plus d’importance au fond qu’à la forme estime le professeur. « À ce moment-ci nous traversons une sorte de crise existentielle. Est-ce que le style compte pour quoi que ce soit? Les électeurs vont, je pense, être forcés de considérer des questions névralgiques, et ce sera un moment où les pensées politiques étoffées seront une valeur sûre pour les électeurs. »

Le talon d’Achille de Carney

Durant la course au leadership, Mark Carney est resté flou sur des questions de première importance comme sur la façon qu’il prévoit d’équilibrer le « budget d’opération » sans réduire les paiements de transfert aux provinces, tout en baissant les impôts et en augmentant les sommes consacrées à la défense.

Mais l’exercice lui a permis de se recentrer, de faire un léger virage vers la droite et de prendre ses distances de certaines des mesures les moins populaires de son prédécesseur, comme la taxe carbone sur laquelle s’acharnait le chef conservateur. Toutefois la solution qu’il propose de taxer davantage le carbone des industries primaires est loin d’avoir passé le test de la réalité.

Le rôle ambigu qu’il a joué dans la décision de déménager de Toronto à New York le siège social de Brookfield Asset Management, une entreprise de gestion d’actifs qu’il présidait, pourrait aussi continuer de lui faire ombrage. Déjà, Pierre Poilievre l’accuse de s’être mis à genoux et d’avoir cédé aux pressions du président Trump.

Autre défi : le nouveau venu devra se défaire de son image de technocrate. Son discours de victoire devant ses partisans montre qu’il a encore du chemin à faire pour soulever l’enthousiasme de ses troupes et provoquer un mouvement d’adhésion plus large, ce dont les libéraux ont grandement besoin à l’heure où ils sollicitent un quatrième mandat.

 

 

[1] https://www.lapresse.ca/affaires/chroniques/2025-03-10/ce-que-la-precarite-des-americains-nous-enseigne.php?sharing=true

 

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