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Capture d’écran
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky
Jean-Claude Bürger
Le cinq de ce mois Volodymyr Zelensky vient d’admettre ce qui, au fil des jours devenait évident : la contre-offensive ukrainienne est bloquée par le système de défense russe. C’est, semble-t-il, la première ratée stratégique d’une armée qui avait réussi à contrer l’assaut sur Kyiv puis avait stupéfié le monde en menant une première contre-offensive victorieuse, il y a exactement un an.
Les combattants ukrainiens avaient ainsi récupéré des milliers de km2 tombés aux mains des agresseurs.
Les prouesses de cette armée face aux faiblesses et aux erreurs du colosse russe avaient peu à peu convaincu les pays de l’OTAN d’apporter à Kyiv un soutien grandissant au fur et à mesure qu’il devenait possible d’espérer que ses succès militaires affaibliraient Moscou.
L’impréparation militaire russe a ainsi offert aux pays occidentaux une chance inespérée d’altérer la réputation d’invincibilité de cette armée et d’endiguer les ambitions annexionnistes de Moscou contre lesquelles ils n’avaient pas su s’opposer en Géorgie en 2008, ni en en Crimée six ans plus tard.
S’il serait exagéré de dire que l’OTAN volait au secours de la victoire, il n’en est pas moins vrai que sans les succès spectaculaires des Ukrainiens, les Occidentaux se seraient probablement bien gardés de faire les frais d’une assistance aussi onéreuse que risquée.
L’échec de Zelensky
En ce sens, ce qui semble un aveu d’échec de la part de Zelensky est préoccupant pour les gouvernements qui le soutiennent. D’autant que s’y ajoutent des signes inquiétants : l’augmentation importante du nombre de morts et de blessés parmi les troupes de Kyiv dans les derniers mois1, d’où la possibilité instaurée cette année de mobiliser certaines femmes quand leur profession (essentiellement dans le domaine médical) les rend indispensables à la poursuite de la guerre, le limogeage du ministre de la Défense qui n’a pas été capable d’enrayer la corruption endémique dans son ministère. Bref les choses ne vont pas très bien.
La guerre taxe l’Ukraine et ses troupes de plus en plus durement alors que seul l’espoir d’une victoire garantit la pérennité de l’union sacrée des Ukrainiens autour de leur président. C’est également cette perspective qui peut faire espérer la continuation de l’aide apportée par l’Occident. Une perspective qui s’estompe.
Avec l’échec de la contre-offensive, c’est le mirage d’un effondrement soudain des lignes de défenses russes qui s’éloigne, et la perspective d’une nouvelle contre-offensive ukrainienne est repoussée à 2024 avec cette fois un appui aérien tactique qui a fait cruellement défaut cette année.
Encore faut-il pour ça que soient livrés les F-16 promis par les pays de l’OTAN ainsi que tout l’environnement humain, technique et d’armements qui les accompagne. Ce n’est pas sans problème. Il faut aussi compter que l’hiver qui a déjà joué en faveur des Russes en 2023 en leur permettant de renforcer leurs défenses leur permettra en 2024 de se préparer à cette perspective.
L’année 2024 recèle pour Kyiv encore d’autres enjeux et d’autres dangers, cette fois sur un terrain différent, bien loin de la terre qu’ils défendent avec tant de passion.
Les pièges de 2024
En 2023 le pouvoir de Vladimir Poutine avait échappé à de sérieuses embûches. La moindre n’étant pas la mutinerie de Evgueny Prigojine. Tel le docteur Frankenstein menacé par le monstre qu’il avait créé, Poutine dut l’abandonner à un triste sort, forçant même quelque peu son destin d’après certaines mauvaises langues …
En 2024 c’est la cohésion occidentale qui va être mise à l’épreuve. Quelques voix dissidentes se font déjà entendre en Europe, qui bien que condamnant l’agression russe suggèrent qu’il est indispensable que les belligérants acceptent de négocier. C’est le cas du Hongrois Victor Orban, du président bulgare Roumen Radev, de l’ancien président français Nicolas Sarkozy, et de personnalités aux extrêmes du spectre politique européen.
On peut considérer cette posture comme un vœu pieu, tellement l’argument ukrainien selon lequel il est inutile de négocier avec quelqu’un qui ne tient pas ses engagements semble tomber sous le sens. De façon générale, l’opinion publique européenne reste largement favorable à l’Ukraine même si on note un léger fléchissement par rapport à l’année dernière2. Les Ouest-Européens à l’instar des Polonais et des Baltes voient dans un éventuel succès russe en Ukraine le danger d’une satellisation de l’Europe qui n’aurait pas les moyens de résister militairement aux diktats de Moscou.
Aux États-Unis, l’opinion reste encore favorable au soutien militaire de l’Ukraine3. Cependant, les républicains qui conservent, nous disent les sondages, la faveur d’une bonne partie de l’électorat, ont tendance à l’isolationnisme. Même si le leadership de Donald Trump ne fait pas encore l’unanimité; le fait que ce dernier ait prétendu pouvoir régler le problème ukrainien en 24 heures s’il était élu, ne devrait pas réjouir grand monde sauf peut-être les Russes.
Encore plus réjouissante pour ces derniers la déclaration de Vivec Ramaswami, cet autre candidat républicain à la présidence qui estime « désastreux » que les États-Unis protègent les frontières d’un État étranger alors qu’ils feraient mieux de dépenser cet argent pour se protéger contre l’invasion de leur propre pays (par l’immigration clandestine).
Lors du même débat à Milwaukee, le gouverneur de Floride Ron De Santis a de son côté affirmé qu’il conditionnerait toute aide supplémentaire à une augmentation de l’effort européen. En attendant, l’ex-président Trump a appelé le Congrès à ne voter aucune aide supplémentaire tant que le FBI n’aura pas livré toutes les preuves concernant les liens d’affaire de la famille Biden (avec l’Ukraine).
Tout porte donc à croire que la guerre en Ukraine va devenir un enjeu de « politique politicienne » dans la campagne électorale américaine, mauvaise nouvelle pour Zelensky, excellente nouvelle pour Poutine dont on peut prédire sans craindre de se tromper qu’il va faire jouer à plein les fermes de trolls, les organes de désinformation repris en mains lors du démantèlement de Wagner. Il n’est par ailleurs pas impossible qu’il trouve pour la deuxième fois sur son chemin un allié inattendu.
Le trumpiste Elon Musk qui professe depuis longtemps la nécessité de libérer la parole quel qu’elle soit sur son réseau social4. Le temps cette fois joue clairement dans le camp de Poutine alors que 2024 semble pour Zelensky et pour l’Europe l’année de tous les dangers.
-1 Kyiv garde secret le nombre des victimes militaires mais les Américains estiment à 70000 le nombre de morts Ukrainiens depuis le début du conflit dont les deux tiers au cours des six derniers mois. Enquête publiée le 18 août dans le NY Times
-2 L’opinion favorable à l’Ukraine a enregistré un recul depuis un an, 82 % à 64 % en France et de 86 % à 61 % en Allemagne en Pologne, elle est passée de 91 % à 79 %. Les Européens sont divisés sur la fourniture d’armes. Les Polonais sont 80 % à approuver, les Français 54 % (11 points de moins que l’an dernier), les Allemands 52 % (14 points de moins). Sondage IFOP/Le Figaro
L’appui des Canadiens à la fourniture d’armes enregistre aussi un recul. Ainsi, 57 % sont pour l’envoi d’armes défensives (9 points de moins) et 37 % l’envoi « d’aide létale » (11 points de moins). Sondage Angus Reid
-3 Aux États-Unis, 65 % des Américains sont favorables à la livraison d’armes. Ils étaient 60 % l’an dernier. Dans le camp Démocrate les partisans des livraisons d’armes sont passés de 71 % à 81 % et chez les Républicains de 53% à 57%. Sondage Reuter et IPSOS juin 2023 (https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2023-06/Reuters%20Ipsos%20Russia%20Ukraine%20Conflict%20Topline%2006%2028%202023.pdf
Il faut noter que ces chiffres sont étonnants parce qu’un sondage NORC AP en janvier ne donnait que 48 % d’Américains favorables aux livraisons d’armes.
-4 Elon Musk propriétaire de Starlink et de X anciennement tweeter vient de révéler qu’il a refusé les services de ses satellites aux Ukrainiens stoppant ainsi une attaque sur la flotte de la Mer Noire. C’est un partisan déclaré de Trump et de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux.