À propos de l'auteur : Robert Frosi

Catégories : Sports

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Capture d’écran

Le Comité international olympique (CIO) a, le 20 mars, pour la première fois élu à sa tête une femme et une Africaine, la Zimbabwéenne Kirsty Coventry, qui succède à 41 ans à l’Allemand Thomas Bach.

Robert Frosi

La fumée blanche est sortie en Grèce. Le conclave du monde du sport a élu son nouveau pape. Et quelle ne fut pas la surprise de découvrir qu’une femme va diriger le CIO durant les huit prochaines années.

Pour bien comprendre comment naviguer dans les méandres de la maison olympique, il faut imaginer les jeux de coulisses, les tractations, les intimidations même pour en arriver à un résultat. J’ai couvert plusieurs élections et j’ai pu observer tous ces échanges.

Le CIO fonctionne en quelque sorte comme le Vatican. N’entre pas dans le monde olympique qui veut. Il faut montrer patte blanche. Donc, on se coopte entre nous.

Têtes couronnées, présidents de fédérations sportives, avocats réputés, médecins émérites et quelques athlètes comme alibi.

On a souvent dépeint le CIO, comme un club privé composé à majorité d’hommes. Avec le temps, quelques portes ont été ouvertes même si la notion de «Boys club » persiste encore.

Alors méfiance quand on parle du plafond de verre qui a été brisé avec l’élection de la Zimbabwéenne  Kirsty Coventry, championne olympique à sept reprises dans les piscines olympiques. En plus d’être la première femme à devenir la capitaine du paquebot olympique, c’est également une première pour l’Afrique à la présidence après 131 années d’hégémonie européenne.

C’était aussi la plus jeune candidate à se présenter, avec ses 41 ans, face à six hommes. Même si au sein de la famille olympique on la disait protégée par le président sortant Thomas Bach, son élection a été une véritable surprise. Tout d’abord avec une nomination dès le premier tour, alors que depuis plus d’une décennie, on n’avait pas vu autant de candidats se présenter pour le poste.

Les trois favoris ont littéralement mordu la poussière.

Tous les observateurs pensaient que la lutte allait se faire entre l’Espagnol, Juan Antonio Samaranch Junior, fils de l’ancien président sulfureux du CIO, le Britannique et président de la toute puissante Fédération internationale d’athlétisme, Sébastian Coe et le Français, président de l’Union Cycliste Internationale, David Lapartient.

Alors que Kirsty Coventry amassait 49 voix, l’Espagnol se contentait de 28 et l’humiliation était totale pour le Britannique avec huit petites voix et le Français avec quatre maigres votes.

Il faut avouer que le message envoyé avec cette élection peut sembler assez clair. Certains diront que les temps sont en train de changer et qu’il est enfin temps, que cette vieille dame olympique finisse par enfin rajeunir et ressembler à l’air du temps.

Mais la poussière accumulée avec le temps, sous le paillasson à l’entrée de la maison olympique à Lausanne, va être difficile à retirer si Kirsty Coventry veut ouvrir toutes grandes les portes.

Les défis de la présidente

Le défi pour la « première dame » est colossal. Tout d’abord régler les enjeux politiques auxquels fait face le mouvement olympique.

À moins d’un an des prochains Jeux olympiques d’hiver à Milan-Cortina, il faudra prendre la décision de réintégrer ou non les athlètes russes et bélarusses.

L’ancienne championne olympique s’est déjà exprimée sur la question durant sa campagne. Elle veut défendre avant tout l’athlète. Elle a déclaré qu’il y a des conflits un peu partout dans le monde, au Moyen-Orient et en Afrique en plus de la guerre en Ukraine. Pour elle, il ne faut pas prendre les athlètes en otage.

Il faudra également répondre aux questions sur le gigantisme des Jeux, le respect de l’environnement …

De plus en plus de voix réclament qu’une plus juste répartition de l’argent engrangé par le CIO durant les jeux soit envisagée.

Là encore, Mme Coventry s’est déjà opposée au fait de rémunérer les athlètes, argumentant que les Jeux étaient une vitrine pour eux. Elle s’était élevée contre ce principe quand le président de la Fédération internationale d’athlétisme, le Britannique Sébastian Coe avait annoncé qu’il verserait des primes à ses athlètes.

La nouvelle présidente devra changer l’image du CIO, qui faut-il le rappeler, est une OBNL de droit suisse qui engrange des milliards. Le CIO avoue à qui veut l’entendre que 90 % de ses revenus sont reversés au monde sportif. Une déclaration qui laisse dubitatif grand nombre d’observateurs.

Une autre de ses tâches urgentes sera de contrecarrer les plans des Russes qui, depuis qu’ils ont été mis au ban du monde sportif, veulent faire cavalier seul en créant leurs propres jeux.

Leurs premières menaces ont été mises à exécution avec l’organisation des Jeux des BRICS. Plus de 5000 athlètes venus de Chine, Brésil, Inde, Afrique du Sud ont participé à ces jeux l’an dernier.

La Russie a également créé les Jeux du Futur. Les premiers jeux de sports électroniques. Les bourses pour les athlètes dépassaient le million de dollars.

Même s’ils ont été reportés, les Russes vont organiser les Jeux de l’amitié. Une vielle recette payante qui date de l’ère communiste.

Les Russes ne sont pas les seuls à vouloir redistribuer les cartes du sport mondial. Les pays du Golfe en sont un bon exemple.

Le Qatar a ouvert le bal avec l’organisation de la Coupe du monde de soccer. Il s’est aussi offert le prestigieux club de la capitale française, le PSG. Le petit pays du Golfe a misé, depuis plusieurs décennies, sur le sport pour se donner une certaine légitimité aux yeux de la communauté internationale. Rien n’était trop beau ni trop cher pour les Qataris. Grand Prix de formule 1, Championnats du monde de gymnastique, Grand Prix de moto, Coupe d’Asie des nations, en plus d’investissements dans des clubs de soccer étrangers.

Ce qu’on appelle le sportswashing, c’est-à-dire utiliser le sport pour se refaire une bonne réputation, prend tout son sens dans cet empire pétrolier. Pour rivaliser avec le petit Qatar, l’Arabie saoudite a dépensé sans compter.

Un fonds d’investissement dépense 600 milliards par an pour s’offrir tout ce que la planète compte d’événements sportifs. Grand Prix de Formule 1, tournois de golf et de tennis et, en 2029, les Jeux asiatiques d’hiver en plein désert, au coût de 500 milliards.

En 2034, Ryad organisera la Coupe du monde de soccer et les Jeux olympiques ne sauraient tarder.

Le CIO lui a déjà attribué l’organisation des premiers Jeux olympiques des sports électroniques (e-sport) qui auront lieu dès cette année. Le contrat a une durée de 12 ans, ce qui octroie un certain monopole.

Il sera difficile pour la nouvelle présidente de justifier un tel accord avec un pays qui a le triste record d’exécutions. Selon certaines ONG, rien qu’en 2024, 338 personnes ont été exécutées après des simulacres de procès.

Dans cette longue liste d’urgences à régler, il ne faut pas oublier, celui qui est en train de changer l’ordre mondial. On sait que les relations entre Donald Trump et le CIO n’ont jamais été au beau fixe. Les Américains ont déjà envoyé un message assez explicite en retirant leur financement à l’Agence mondiale antidopage. Chez nos voisins du Sud on dénonce le manque de transparence de cet organisme trop eurocentriste à leur goût.

La tâche est donc immense pour ne pas dire colossale pour la première femme qui va diriger les destinées olympiques pour les huit prochaines années. Les prochains mois seront déterminants pour voir si elle veut vraiment changer l’image d’une organisation vieillissante qui jusqu’ici n’a connu que des changements cosmétiques.

 

 

 

 

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