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Antoine Char
La Cour suprême du Canada
Jean Dussault
C’est écrit tel quel dans les documents de la FAE : « Nous incarnons un syndicalisme plus militant et plus combatif. » La Fédération autonome de l’enseignement s’est jointe en avril à la Commission scolaire English Montreal et au Conseil national des musulmans canadiens pour contester devant la Cour suprême du Canada la loi 21 sur (contre) des signes religieux dans des services publics. Soit.
La Cour supérieure du Québec a affirmé en avril 2021 et la Cour d’appel du Québec a unanimement confirmé en février 2024 la légalité de la loi 21. Selon ces jugements, et un autre, accessoire, le gouvernement québécois a le droit de légiférer sur les signes religieux dans les services publics. Il a le pouvoir, légal et juridiquement légitime, de proscrire le port de signes religieux dans certains services publics.
Quitte à déroger aux chartes des droits individuels au nom de ce qu’il considère primordial à l’intérêt public.
Si un gouvernement se goure dans sa définition de l’intérêt public, il appartient au public, et pas aux tribunaux, de le condamner.
Un chroniqueur publiquement opposé à la Loi 21 (1) trouve que le regroupement des neufs syndicats s’éparpille en, entre autres, dépensant l’argent de ses membres pour aller devant l’instance suprême. En effet, si la fédération obtient la permission d’y plaider, elle ne fera qu’ajouter son grain de sel dans l’immense marmite qui mijote déjà devant l’instance suprême.
Mais le département des communications qui parle (et écrit) officiellement au nom de plus de 66 500 enseignants a déjà expliqué qu’en plus de défendre les droits et intérêts de ses membres, « nous prenons aussi position et nous posons des actions dans des dossiers qui visent à construire une société plus juste ».
La politique juridique
Les avocats de la FAE ont sûrement lu les jugements contestés par leur client. Celui de la Cour supérieure était net, clair, précis, sans appel (!) : le juge Blanchard exprimait son opposition personnelle à l’utilisation de la clause dérogatoire, mais, c’est de même, la loi, c’est la loi : quand c’est légal, c’est permis.
La Cour d’appel, pour sa part, a eu la décence de garder pour elle ses états d’âme et ses opinions politiques et elle a confirmé la loi 21 en rabrouant les égarements socio-politiques du juge Blanchard.
En principe, les procureurs de la FAE savent lire. Mais, bon, le client a toujours raison … et il ajoutera au 1.2 million de dollars qu’il a déjà payés pour contester la loi 21 devant les tribunaux dits inférieurs.
Pourquoi ?
Présumant que la question serait posée, la centrale auto-proclamée radicale répond gracieusement à la question sur son site. D’abord par la modestie, surtout appréciée quand elle est inattendue : « La FAE n’a aucunement l’intention de se substituer à la Cour suprême du Canada pour établir les balises encadrant le recours aux clauses dérogatoires. »
Puis apparaît le paravent qui ne réussit pas à cacher que, eh oui, la direction de la FAE s’oppose fondamentalement à la loi 21 votée par un gouvernement élu et entérinée par, au total, sept juges de diverses instances.
À force de perdre sur le fond comme sur la forme, la direction de la FAE a cherché, et cru trouver, une virgule sur laquelle gosser.
L’avogossage
Les tribunaux ont conclu que le gouvernement du Québec avait le droit de faire ce qu’il a fait et la direction de la FAE chigne qu’il n’aurait pas dû. « Pour que le recours aux clauses dérogatoires soit valide, le parlement doit démontrer que l’objectif recherché en est un qui soit réel et urgent … » (2)
Que voilà presque mot à mot l’argument politique avancé par le juge Blanchard dans sa décision initiale et sévèrement rejeté par la Cour d’appel.
Tout un chacun peut légitimement s’opposer à la loi 21, ou d’ailleurs quelque loi que ce soit ; n’importe qui peut trouver odieux que le gouvernement Legault ait utilisé la clause dérogatoire dans le cas particulier des signes religieux dans les services publics.
Reste que les tribunaux ont confirmé ce que disent les chartes : c’est aux élus et pas aux juges de décider si c’est approprié de le faire.
Mieux vaut laisser aux juges de décider des affaires juridiques, et à l’électorat de décider qui va voter les lois.
Ledit électorat inclut évidemment les membres de la FAE, itou les membres de la direction syndicale.
La cause suprême
Il est probable que la direction syndicale est capable de « marcher et mâcher de la gomme en même temps » : quelqu’un dans la structure peut s’occuper de la mise en vigueur de la dernière convention collective et quelqu’un d’autre peut en même temps se préoccuper du sort des affligés, dans ce cas-ci des affligées. Quand même, trois semaines de grève et une convention approuvée par la peau des dents indiquent qu’il y a du ménage à faire dans la cuisine avant d’aller jouer dehors.
Un autre chroniqueur (3) croit que le rôle des syndicats inclut celui de protéger les droits garantis par la charte. Noble principe, s’il en est, mais devant le flot d’arguments qu’entendra la Cour, la FAE aura l’importance d’un grain de sable dans le désert.
Elle n’apprendra rien à personne en arguant que l’Ontario a tenté de bafouer des droits en dérogeant à la Charte et que la Saskatchewan l’a fait.
La fin du monde
Plus et pire, selon le syndicat d’enseignants québécois « juste au sud de nos frontières, des États américains sont venus restreindre, voire dans certains cas interdire, le droit à l’avortement. Des personnes enseignantes risquent maintenant des mesures disciplinaires si elles affichent leur appartenance à la communauté LGBTQ2+, notamment en Floride, alors qu’on est aussi venu interdire, non seulement en Floride, mais aussi dans certains États, de parler des réalités LGBTQ2+ à l’école. Il est évident que le Québec ou le Canada ne sont pas à l’abri de tels reculs des droits fondamentaux. Il est primordial de demeurer vigilants ».
Cherchez le lien.
(1) Patrick Lagacé, LaPresse +. 30-04-24
(2) Le parlement est à Ottawa; à Québec, c’est l’Assemblée nationale depuis 1968.
(3) Michel C. Auger, LaPresse+. 01-05-24