À propos de l'auteur : Louiselle Lévesque

Catégories : Québec

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Louiselle Lévesque

Depuis des semaines, le dossier de l’immigration défraie la manchette au Québec. Et pour cause, cet enjeu aux multiples facettes tant politiques qu’économiques et sociales touche au cœur même de la capacité du Québec de protéger sa culture et sa langue, le français.

Le débat s’est récemment enflammé à la suite de la déclaration de François Legault au Congrès de la Coalition Avenir Québec à Drummondville, le 28 mai dernier. Le premier ministre a évoqué le danger d’une « louisianisation » du Québec en prenant pour cible le programme de réunification des familles, géré par le gouvernement fédéral, et qui serait susceptible de mettre en danger la survie de la nation québécoise.

Cette déclaration apparait pour le moins surprenante pour ne pas dire incompréhensible puisque ce programme n’est responsable de l’arrivée au Québec que de quelques milliers de personnes chaque année.

Difficile donc de croire qu’il y a, sur cette base, péril en la demeure sous prétexte qu’une bonne partie de ces immigrants qui viennent rejoindre leurs proches établis au Québec ne parlent pas français. Et qu’il faille, en se servant de cet exemple comme fer de lance, réclamer de toute urgence le rapatriement d’Ottawa des pleins pouvoirs en matière d’immigration.

Plutôt que d’éclairer le débat, les propos du premier ministre ont eu l’effet de l’embrouiller davantage car de toute évidence le problème se trouve ailleurs.

Le portrait

Depuis le début mai, le ministère de l’Immigration du Québec a en main une étude qu’il a commandée à l’économiste Pierre Fortin et qui tire la sonnette d’alarme sur « la politique d’immigration fédérale expansive » et ses conséquences pour le Québec.

Le professeur émérite de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) parle d’une véritable explosion du nombre d’immigrants temporaires c’est-à-dire des travailleurs et des étudiants étrangers admis au Canada. En 20 ans, le phénomène a été multiplié par six au pays et par cinq au Québec. Mais il s’est surtout accéléré depuis 2015 avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Justin Trudeau.

Ces programmes d’immigration temporaire dont celui sur la mobilité internationale créé en 2016 ont été développés par le gouvernement fédéral afin de répondre notamment aux besoins des milieux d’affaires qui font face à des pénuries de main-d’œuvre. C’est, selon les termes de Pierre Fortin, un véritable pipeline qui se déverse sur le Québec, l’empêchant de gérer son immigration permanente comme il le faisait auparavant. « Ça crée toutes sortes de problèmes. Voilà la situation. C’est certain qu’ils vont avoir à prendre des décisions importantes dans un avenir rapproché. »

Des chiffres qui parlent

Pierre Fortin affirme que le Québec est littéralement inondé d’immigrants temporaires. « Au total, par exemple en 2019, il est rentré 93,000 immigrants au Québec. Ça c’est quand tu fais la somme des immigrants permanents (environ 50,000) qui sont les entrées habituelles plus l’augmentation de l’immigration temporaire. »

Le ministre québécois de l’Immigration, Jean Boulet a de son côté avancé le chiffre de 177,000 immigrants temporaires qui se trouvaient sur le sol québécois en 2021, des étudiants et des travailleurs ainsi que leurs conjoints et leurs enfants qui, faut-il le rappeler, ont le droit de fréquenter l’école anglaise.

Or cette immigration temporaire est devenue une voie de passage menant à l’obtention du statut de résident permanent. Pierre Fortin a constaté dans son étude que 85 % des immigrants permanents qui ont été acceptés par Québec en 2019 étaient des candidats ayant bénéficié au préalable d’un certificat de séjour temporaire.

Un des problèmes que l’on a, ajoute le professeur, c’est que l’on dispose de peu d’information sur les compétences linguistiques de ces immigrants temporaires devenus résidents permanents. Il y a 40% des dossiers de travailleurs admis en vertu du Programme de mobilité internationale où l’information est manquante. Impossible dit-il de vérifier si la connaissance du français est suffisante. Il n’y a aucune indication à ce sujet. Québec fonctionnerait à l’aveugle.

L’économiste fait valoir que « le Québec pourrait en principe refuser d’accorder un statut permanent à ces immigrants temporaires mais en pratique, c’est une autre histoire. Québec ne peut pas vraiment dire ça parce que sur le plan politique c’est vraiment cruel de faire ça ».

À qui la faute ?

L’immigration est une compétence partagée entre Québec et Ottawa dont les balises sont définies dans l’accord signé par les ministres Monique Gagnon-Tremblay et Barbara McDougall en 1991. Cet accord reconnait au Québec un statut distinct et concrétise l’une des cinq conditions contenues dans l’Entente constitutionnelle du lac Meech malgré l’échec qui a scellé le sort de cette l’entente.

C’est un document d’une portée quasi constitutionnelle affirme André Burelle qui a été le négociateur en chef pour le gouvernement fédéral. L’accord de 1991 est doublement cadenassé, précise-t-il puisqu’il ne peut être modifié sans l’assentiment des deux parties. C’est dire sa solidité.

En vertu de cet accord, la sélection des immigrants destinés au Québec, sauf pour les réfugiés et les cas portants sur le regroupement familial, relève exclusivement de la province de même que l’accueil et l’intégration linguistique et culturelle de ces immigrants.

Le droit de refus

L’ancien haut-fonctionnaire rappelle qu’il y est écrit en toutes lettres que « le consentement du Québec est requis avant l’admission dans la province de tout étudiant étranger et de tout travailleur temporaire étranger » . Ce pouvoir que détient le Québec était déjà inscrit dans l’Entente Cullen-Couture signée en 1978 tout comme la prérogative de rendre son agrément conditionnel au respect de quotas et de critères en matière linguistique. C’est donc un état de fait depuis plus de quarante ans.

André Burelle réitère de vive voix ce qu’il écrit et dit depuis nombre d’années dans des textes parus dans les journaux ou encore dans une allocution devant l’Association du Barreau canadien en 1993 que « le Québec a le droit de s’opposer à l’octroi d’un permis de séjour temporaire aux étudiants et travailleurs étrangers qui frappent à sa porte ».

Concrètement, le Québec a la responsabilité exclusive de sélectionner les immigrants qui lui sont destinés sauf pour les revendicateurs du statut de réfugié et les cas portants sur le regroupement familial qui eux relèvent d’Ottawa. Et même pour cette dernière catégorie, l’ancien chef négociateur affirme que l’accord donne au Québec la possibilité d’encadrer les pouvoirs  du fédéral pour qu’il tienne compte de ses préoccupations linguistiques et culturelles.

Une fausse piste

Ce n’est donc pas exact de dire qu’Ottawa mène seul le bal. Et nul besoin, ajoute André Burelle, d’ouvrir cet accord pour trouver une solution à ce problème. Il suffit selon lui de convoquer le comité mixte prévu dans l’accord pour le saisir du dossier. C’est le rôle de ce comité de trouver des solutions aux litiges découlant de son application ou de son interprétation.

Pourquoi donc se lancer dans une bataille pour obtenir de nouveaux pouvoirs alors que Québec n’utilise pas les pouvoirs qu’il possède déjà, se demande Burelle. Et il s’étonne que le gouvernement du Québec ne soit pas conscient des moyens qui lui sont conférés par l’entente et qui lui permettraient d’exercer le contrôle qu’il dit ne pas avoir.

Comment en effet expliquer cette méconnaissance de la part des autorités québécoises dans un domaine aussi névralgique ? L’ancien haut-fonctionnaire risque une hypothèse : il y a eu selon lui au ministère québécois de l’Immigration une perte de mémoire institutionnelle ainsi qu’une perte d’expertise puisque ce ministère a, comme plusieurs autres, grandement souffert des mesures d’austérité imposées par le gouvernement de Lucien Bouchard pour l’atteinte du déficit zéro à la fin des années 1990.

Le Québec n’a pas vu venir

Anne-Michèle Meggs est une ancienne fonctionnaire du ministère de l’Immigration du Québec. Elle a été directrice de la planification et de la reddition des comptes jusqu’en 2019. Elle estime que le Québec a fait l’erreur, lorsque l’immigration temporaire n’avait pas autant d’ampleur, de ne pas prendre le dossier assez au sérieux. « Tout le monde était tellement convaincu que l’immigration temporaire n’était pas une menace, [ce] n’était pas une préoccupation. »

Elle s’appuie notamment sur le fait que dans sa version initiale en 1977, la Loi 101 donnait le droit aux personnes détentrices d’un permis de séjour temporaire d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise, droit qu’elles ont conservé dans la Loi 96 qui vient d’être adoptée même s’il est maintenant limité à trois ans et n’est pas renouvelable.

Absence de règles

Anne-Michèle Meggs convient elle aussi que le Québec a le droit de refuser des immigrants temporaires et le pouvoir de rendre conditionnel son consentement à leur entrée sur son sol. Le Québec pourrait décider par exemple d’imposer un plafond au nombre de permis de séjour temporaire accordés chaque année comme il le fait pour l’immigration permanente.

Et pour mieux contrôler l’afflux d’étudiants internationaux, il pourrait exiger que les candidats sélectionnés aient été admis dans un des établissements d’enseignement supérieur désignés par la province de façon à s’assurer qu’une bonne partie d’entre eux fréquenteront des CEGEPS ou des universités francophones. Toutes des mesures sont déjà à la portée du gouvernement.

André Burelle suggère de son côté que les étudiants étrangers qui se trouvent déjà au Québec soient tenus d’avoir suivi un programme d’études en français pour obtenir le statut de résident permanent. « Il suffirait, dit-il, à nos gouvernants d’avoir le courage politique de poser un tel geste. »

Et il déplore le laisser-faire des autorités québécoises qui ne prennent pas leurs responsabilités en confiant aux employeurs et aux établissements d’enseignement supérieur le pouvoir de choisir qui pourra venir travailler ou étudier au Québec en fonction de leurs propres intérêts et ce, sans se soucier de l’impact de ce flot migratoire sur l’ensemble de la société.

La marginalisation

Le déclin du français n’est pas le seul défi auquel le Québec, aux prises avec une forte dénatalité, est confronté. Il y a aussi le danger d’une accélération de sa minorisation au sein du Canada, une autre conséquence de la politique d’immigration expansive d’Ottawa identifiée par Pierre Fortin. « Si le Canada atteint les 450,000 immigrants comme Ottawa dit vouloir en accueillir à partir de 2024 et si le Québec reste avec une absorption de 50,000 par année, ça va entrainer une perte de son poids démographique. »

Dans la foulée des négociations sur l’Accord du lac Meech, le Québec réclamait un quota de 25% des immigrants admis au Canada alors que, année après année, la part des entrées en sol québécois n’a pas dépassé les 20% et ce, même si Ottawa s’est engagé dans l’accord de 1991 à faire de son mieux pour préserver le poids démographique du Québec. La population québécoise représentait 28% de l’ensemble canadien en 1970 et 22% en 2020. Cette décroissance va se poursuivre et même s’accélérer, et avec elle l’influence politique du Québec au sein de la fédération canadienne.

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