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Louiselle Lévesque
Le Québec vivra en 2022 une année électorale sous le signe d’une crise sanitaire qui s’éternise, situation inédite qui a déjà forcément des répercussions sur les intentions de vote. Même si la Coalition avenir Québec (CAQ) semble assurée de sa réélection, et de récolter un plus grand nombre de sièges qu’en 2018, de plus en plus d’insatisfaction se manifeste quant à la façon dont le gouvernement de François Legault gère cette crise.
Un des premiers bénéficiaires de cette grogne est le Parti conservateur d’Éric Duhaime. Selon deux sondages récents, l’un Mainstreet et l’autre de la firme Léger, le parti de l’ancien animateur de radio recueille entre 11 et 13% des voix. Le chef populiste de droite profite du mécontentement des anti-vaccins et des opposants au passeport vaccinal ainsi que de tous ceux qui érigent la liberté individuelle en valeur absolue.
Le mouvement de contestation des camionneurs auquel viennent se greffer des groupuscules de la droite radicale pourrait aussi lui donner de l’élan à moins qu’il ne s’essouffle rapidement. Il y a aussi le réservoir d’appuis que peuvent représenter les anciens adéquistes déçus de voir le gouvernement Legault se réaligner au centre et abandonner plusieurs des idées les plus conservatrices de l’Action démocratique du Québec qui s’est fusionnée avec la CAQ en 2012.
Un vieux fond de conservatisme
Le politologue Frédéric Boily qui a publié de nombreux ouvrages sur la droite, le conservatisme et le populisme, soutient que « ce courant de pensée fait partie du paysage politique au Québec et refait régulièrement surface ».
Le conservatisme a, selon l’auteur, des racines profondes dans la société québécoise et, loin d’être chose du passé, se manifeste encore aujourd’hui. Dans son livre Le conservatisme au Québec, retour sur une tradition oubliée publié aux PUL en 2010, Boily retrace le parcours de ce courant idéologique à travers l’Union nationale, le Ralliement créditiste et l’Action démocratique du Québec, et rappelle que cette dernière a connu en 2007 un succès retentissant en obtenant le statut d’opposition officielle avec plus de 30 % des suffrages.
Une campagne sans surprise
Frédérick Guillaume Dufour, professeur de sociologie politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), ne voit pas beaucoup de suspense dans la campagne électorale à venir. Selon lui, la grande inconnue du scrutin du 3 octobre prochain est de savoir si le sentiment de frustration se sera estompé parce que la pandémie sera terminée ou si la révolte sera toujours bien vivante parce que nous serons encore aux prises avec des taux élevés de contagion.
Il note que « chaque fois qu’Éric Duhaime enregistre une remontée, c’est à la suite de l’adoption d’une mesure impopulaire en lien avec la pandémie. Son vote dépend beaucoup de l’état de la pandémie. Si c’est derrière nous, Duhaime devra se trouver un autre cheval de bataille »
Québec et sa région
Selon lui «Éric Duhaime peut déranger la CAQ dans la région de Québec, le terreau le plus fertile à ses idées, peut-être aussi en Beauce». Il serait surpris de voir son pouvoir d’attraction s’étendre au-delà. Il ajoute que « l’un des défis des populistes comme Duhaime est d’amener ses partisans à aller voter parce que ce sont souvent des gens qui normalement n’iraient pas voter à moins d’être sur un pied de guerre comme en ce moment contre les mesures sanitaires. Mais est-ce que ce sera toujours le cas en octobre? »
Le propre du populisme est le rejet de toutes les élites. Dufour rappelle que durant la campagne électorale de 2018 il y avait certaines cordes populistes sur lesquelles François Legault a pu jouer: « Quand il disait que les Québécois sont tannés de se faire donner des leçons par les élites, par les vieux partis, ça c’est tout à fait une ligne populiste. ». Il ajoute que le discours du premier ministre sur la science et le réchauffement climatique au début de son mandat était plutôt ambigu mais il s’est replacé par la suite même si, précise-t-il, son gouvernement n’a pas fait grand-chose concrètement sur ce front.
Dufour perçoit aussi un cadrage populiste dans la façon qu’a parfois François Legault de mettre en opposition le peuple québécois et les minorités et lorsqu’il dit parler au nom du peuple québécois parce que « lui sent ce que le peuple veut, là on est vraiment dans des tonalités populistes. Mais on est encore bien loin de Trump ».
Un opportunisme sans limites
Dufour constate que François Legault a gouverné beaucoup plus au centre que ce à quoi on s’attendait et a fait preuve d’un opportunisme surprenant. « Je suis impressionné par cet opportunisme » comme le fait de recruter une candidate syndicaliste qui vilipendait le gouvernement jusqu’à tout récemment telle que Shirley Dorismond. De l’attirer dans son parti pour l’élection partielle dans Marie-Victorin, « c’est un tour de force, il faut le reconnaître ».
D’ailleurs le professeur Dufour croit que « Legault est tellement opportuniste qu’il va voir venir le fort sentiment de frustration et il va bouger dans la direction où va le vent. » Le plan de déconfinement que le gouvernement vient d’annoncer semble lui donner raison.
Une opposition effacée
Gouvernance par décrets en raison de l’état d’urgence sanitaire qui devrait être levé au printemps, peu de débats à l’Assemblée nationale, les partis d’opposition sont restés sur la touche ou forcés de faire front commun derrière le gouvernement devant la menace nommée Covid-19. Ils n’auront pas pu jouer pleinement leur rôle pendant la moitié du mandat. Dufour ne sait pas si les partis d’opposition auraient pu faire mieux. « J’ai l’impression qu’ils sont dans une guerre d’usure. Il faut qu’ils gagnent du temps. Il faut que la lune de miel qui n’en finit plus avec la CAQ se mette à dégringoler. »
L’inflation, un trouble-fête ?
Frédérick Guillaume Dufour croit que les électeurs vont vite oublier tout ce qui est lié à la pandémie : « Si les restrictions sanitaires disparaissent du décor, les gens vont avoir la tête ailleurs et pardonner les erreurs que le gouvernement a pu commettre. » Selon lui, la hausse du coût de la vie risque à terme de faire plus mal.
« C’est le genre de facteur qui peut jouer quand les gens sont pris à la gorge, qu’ils n’ont plus les moyens de s’acheter une propriété ou qu’ils doivent déclarer faillite, ils vont chercher à blâmer le gouvernement et se mettre à la recherche d’un sauveur. »
Mais qui pourrait être ce sauveur ? Le Parti libéral du Québec dont l’électorat se concentre dans la région de Montréal et surtout dans les circonscriptions à majorité anglophone ? Le Parti québécois qui se retrouve marginalisé devant un François Legault se présentant comme le grand défenseur de la nation québécoise ? Ou encore Québec solidaire qui semble déchiré par des tensions internes entre l’aile indépendantiste et le Collectif antiraciste décolonial qui veut faire table rase de la question nationale ? À moins donc d’un revirement spectaculaire, la CAQ et son chef n’ont pas trop à s’inquiéter.
Le Québec vivra en 2022 une année électorale sous le signe d’une crise sanitaire qui s’éternise, situation inédite qui a déjà forcément des répercussions sur les intentions de vote. Même si la Coalition avenir Québec (CAQ) semble assurée de sa réélection, et de récolter un plus grand nombre de sièges qu’en 2018, de plus en plus d’insatisfaction se manifeste quant à la façon dont le gouvernement de François Legault gère cette crise.
Un des premiers bénéficiaires de cette grogne est le Parti conservateur d’Éric Duhaime. Selon deux sondages récents, l’un Mainstreet et l’autre de la firme Léger, le parti de l’ancien animateur de radio recueille entre 11 et 13% des voix. Le chef populiste de droite profite du mécontentement des anti-vaccins et des opposants au passeport vaccinal ainsi que de tous ceux qui érigent la liberté individuelle en valeur absolue.
Le mouvement de contestation des camionneurs auquel viennent se greffer des groupuscules de la droite radicale pourrait aussi lui donner de l’élan à moins qu’il ne s’essouffle rapidement. Il y a aussi le réservoir d’appuis que peuvent représenter les anciens adéquistes déçus de voir le gouvernement Legault se réaligner au centre et abandonner plusieurs des idées les plus conservatrices de l’Action démocratique du Québec qui s’est fusionnée avec la CAQ en 2012.
Un vieux fond de conservatisme
Le politologue Frédéric Boily qui a publié de nombreux ouvrages sur la droite, le conservatisme et le populisme, soutient que « ce courant de pensée fait partie du paysage politique au Québec et refait régulièrement surface ».
Le conservatisme a, selon l’auteur, des racines profondes dans la société québécoise et, loin d’être chose du passé, se manifeste encore aujourd’hui. Dans son livre Le conservatisme au Québec, retour sur une tradition oubliée publié aux PUL en 2010, Boily retrace le parcours de ce courant idéologique à travers l’Union nationale, le Ralliement créditiste et l’Action démocratique du Québec, et rappelle que cette dernière a connu en 2007 un succès retentissant en obtenant le statut d’opposition officielle avec plus de 30 % des suffrages.
Une campagne sans surprise
Frédérick Guillaume Dufour, professeur de sociologie politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), ne voit pas beaucoup de suspense dans la campagne électorale à venir. Selon lui, la grande inconnue du scrutin du 3 octobre prochain est de savoir si le sentiment de frustration se sera estompé parce que la pandémie sera terminée ou si la révolte sera toujours bien vivante parce que nous serons encore aux prises avec des taux élevés de contagion.
Il note que « chaque fois qu’Éric Duhaime enregistre une remontée, c’est à la suite de l’adoption d’une mesure impopulaire en lien avec la pandémie. Son vote dépend beaucoup de l’état de la pandémie. Si c’est derrière nous, Duhaime devra se trouver un autre cheval de bataille »
Québec et sa région
Selon lui «Éric Duhaime peut déranger la CAQ dans la région de Québec, le terreau le plus fertile à ses idées, peut-être aussi en Beauce». Il serait surpris de voir son pouvoir d’attraction s’étendre au-delà. Il ajoute que « l’un des défis des populistes comme Duhaime est d’amener ses partisans à aller voter parce que ce sont souvent des gens qui normalement n’iraient pas voter à moins d’être sur un pied de guerre comme en ce moment contre les mesures sanitaires. Mais est-ce que ce sera toujours le cas en octobre? »
Le propre du populisme est le rejet de toutes les élites. Dufour rappelle que durant la campagne électorale de 2018 il y avait certaines cordes populistes sur lesquelles François Legault a pu jouer: « Quand il disait que les Québécois sont tannés de se faire donner des leçons par les élites, par les vieux partis, ça c’est tout à fait une ligne populiste. ». Il ajoute que le discours du premier ministre sur la science et le réchauffement climatique au début de son mandat était plutôt ambigu mais il s’est replacé par la suite même si, précise-t-il, son gouvernement n’a pas fait grand-chose concrètement sur ce front.
Dufour perçoit aussi un cadrage populiste dans la façon qu’a parfois François Legault de mettre en opposition le peuple québécois et les minorités et lorsqu’il dit parler au nom du peuple québécois parce que « lui sent ce que le peuple veut, là on est vraiment dans des tonalités populistes. Mais on est encore bien loin de Trump ».
Un opportunisme sans limites
Dufour constate que François Legault a gouverné beaucoup plus au centre que ce à quoi on s’attendait et a fait preuve d’un opportunisme surprenant. « Je suis impressionné par cet opportunisme » comme le fait de recruter une candidate syndicaliste qui vilipendait le gouvernement jusqu’à tout récemment telle que Shirley Dorismond. De l’attirer dans son parti pour l’élection partielle dans Marie-Victorin, « c’est un tour de force, il faut le reconnaître ».
D’ailleurs le professeur Dufour croit que « Legault est tellement opportuniste qu’il va voir venir le fort sentiment de frustration et il va bouger dans la direction où va le vent. » Le plan de déconfinement que le gouvernement vient d’annoncer semble lui donner raison.
Une opposition effacée
Gouvernance par décrets en raison de l’état d’urgence sanitaire qui devrait être levé au printemps, peu de débats à l’Assemblée nationale, les partis d’opposition sont restés sur la touche ou forcés de faire front commun derrière le gouvernement devant la menace nommée Covid-19. Ils n’auront pas pu jouer pleinement leur rôle pendant la moitié du mandat. Dufour ne sait pas si les partis d’opposition auraient pu faire mieux. « J’ai l’impression qu’ils sont dans une guerre d’usure. Il faut qu’ils gagnent du temps. Il faut que la lune de miel qui n’en finit plus avec la CAQ se mette à dégringoler. »
L’inflation, un trouble-fête ?
Frédérick Guillaume Dufour croit que les électeurs vont vite oublier tout ce qui est lié à la pandémie : « Si les restrictions sanitaires disparaissent du décor, les gens vont avoir la tête ailleurs et pardonner les erreurs que le gouvernement a pu commettre. » Selon lui, la hausse du coût de la vie risque à terme de faire plus mal.
« C’est le genre de facteur qui peut jouer quand les gens sont pris à la gorge, qu’ils n’ont plus les moyens de s’acheter une propriété ou qu’ils doivent déclarer faillite, ils vont chercher à blâmer le gouvernement et se mettre à la recherche d’un sauveur. »
Mais qui pourrait être ce sauveur ? Le Parti libéral du Québec dont l’électorat se concentre dans la région de Montréal et surtout dans les circonscriptions à majorité anglophone ? Le Parti québécois qui se retrouve marginalisé devant un François Legault se présentant comme le grand défenseur de la nation québécoise ? Ou encore Québec solidaire qui semble déchiré par des tensions internes entre l’aile indépendantiste et le Collectif antiraciste décolonial qui veut faire table rase de la question nationale ? À moins donc d’un revirement spectaculaire, la CAQ et son chef n’ont pas trop à s’inquiéter.