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Vivian Silver (au centre), porte-parole de Women Wage Peace (Les Femmes font la paix).
Claude Lévesque
Les confrontations entre Israéliens et Palestiniens se sont succédé depuis la création de l’État juif en 1948. Elles s’ajoutent aux guerres qui ont opposé Israël aux États arabes voisins en 1948, 1956, 1967, 1982 et 2006. Les Israéliens et les Palestiniens ont ainsi vécu entre une non-paix et un véritable état de guerre pendant trois quarts de siècle.
Depuis le mois de mars, les attentats perpétrés en Israël, la répression exercée en Cisjordanie, les échanges de roquettes et de missiles entre l’État juif et des miliciens de la bande de Gaza font craindre une fois de plus que la situation ne s’aggrave.
Le « processus de paix » basé sur les accords d’Oslo et symbolisé par la poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin à Washington en septembre 1993 avait insufflé un certain espoir à tous ceux et celles qui croient à la paix. Malheureusement, l’absence de progrès qu’on ne peut qu’attribuer à la mauvaise foi qui règne dans les deux camps, ou à la croyance que seule la force peut régler les problèmes, ont nourri le cynisme au fil du temps.
Cela ne veut pas dire que la bonne volonté n’existe nulle part. Le 26 mars, le Jerusalem Post a publié un article sur une rencontre, au bord de la mer Morte, entre un groupe de femmes israéliennes (Women Wage Peace – Les Femmes font la Paix) qui exigent que leur gouvernement cherche des alternatives politiques à la guerre et un collectif de femmes palestiniennes (Women of the Sun – Femmes du Soleil) qui ont des idées semblables. La nouvelle n’a pas eu la diffusion qu’elle méritait.
En Retrait présente une entrevue réalisée par visioconférence avec Vivian Silver, porte-parole de Women Wage Peace (Les Femmes font la paix) à la mi-avril. Mme Silver, native de Winnipeg, habite en Israël depuis 48 ans.
Comment le mouvement appelé Women Wage Peace a-t-il commencé ?
Cela remonte à 2014. La bande de Gaza venait de vivre une troisième guerre en cinq ans. C’était une guerre particulièrement difficile. J’habite dans un kibboutz à Beeri, près de la frontière. Dans cette région, nous sommes habitués à la guerre, à la vengeance et à la violence du terrorisme.
C’est très traumatisant. La majeure partie du pays n’est pas affectée par ces guerres, du moins elle ne l’avait pas été jusqu’à ce moment-là. En 2014, les Israéliens ont été mobilisés en grand nombre. Des fils, des frères venus de tout le pays, sont allés se battre. Les femmes en ont eu assez.
Plus de 70 ans de guerre presque ininterrompue ne nous ont apporté ni la paix ni la sécurité. Nous devons briser le paradigme qui veut que seule la guerre peut nous apporter la paix. Un groupe de femmes ont lancé à Tel Aviv un mouvement non hiérarchique voué à ce changement de paradigme.
Seule une entente politique peut apporter la sécurité aux gens des deux côtés de la frontière. Il est temps de prioriser les gens plutôt que les luttes pour le territoire. Des vies ont été perdues ou brisées.
En novembre 2014, nous avons convoqué des conférences d’action sociale à Sdérot, près de la bande de Gaza. Nous avons marché le long de la route en portant des banderoles qui disaient : « Enough is enough !» (Trop c’est trop !) . C’est ainsi qu’est né WWP.
Nous avons maintenant 50 000 membres, des Israéliennes arabes et juives, de gauche et de droite, religieuses et laïques, du centre et de la périphérie, C’est un mouvement de femmes, mais les hommes peuvent en faire partie.
Exception faite de Golda Meir, aucune femme n’a été présidente ou première ministre d’Israël ou des territoires palestiniens. Faut-il y voir un lien avec le fait qu’on n’a jamais réussi à établir une paix durable ?
Je dois être prudente dans ma réponse parce que la recherche démontre que, quand les femmes ont été impliquées dans les négociations, des conflits ont été résolus d’une façon ou d’une autre, que ce soit en Afrique du Sud, en Irlande ou ailleurs. Les chances pour qu’une paix durable s’installe sont plus grande quand des femmes sont impliquées. Les femmes envisagent la sécurité d’une façon inclusive, en tenant compte de facteurs économiques et sociaux, et pas seulement militaires.
Gardez-vous encore l’espoir après cette violence qui a de nouveau éclaté ?
Une fois de plus, notre gouvernement est sur le point de tomber. C’est un gouvernement très atypique, qui inclut pour la première fois des Arabes, la droite, le centre et la gauche. Si problématique soit-il, ce gouvernement est plus progressiste que tous ceux que nous avons eus au cours des douze dernières années. Le projet de loi sur les Alternatives politiques que nous voulons voir adopter dépend de qui est au gouvernement.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet de loi ?
Nous en avons eu l’idée dans la foulée de la guerre de Gaza de 2014, après avoir appris que le gouvernement n’avait discuté d’aucune alternative à l’action militaire. Seule la guerre avait été envisagée, comme d’habitude. Après deux années de discussions, nous avons décidé de présenter un projet de loi ayant pour but d’obliger le cabinet à discuter d’alternatives politiques avant de s’engager dans une guerre.
Si la loi est adoptée, cela nécessitera les ressources budgétaires appropriées et un organisme réglementaire pour s’assurer que les discussions ont lieu. Il nous a fallu trouver un membre de la Knesset pour déposer le projet de loi. C’est une députée du Parti travailliste [Emilie Moattie] qui l’a fait.
Son parti ne faisait pas partie de la coalition à l’époque, mais il s’y est joint depuis lors. Cette coalition est tellement fragile : on ne sait pas quels obstacles apparaîtront. Qui votera en faveur du projet de loi et qui s’y opposera ? La question devient partisane : plusieurs membres de la Knesset ne voteront pas sur le fond mais sur l’affiliation de la personne qui a présenté le projet.
Alors, on ne sait pas ce qui arrivera. Mais nous recevons beaucoup de soutien de la part d’experts en sécurité et d’institutions d’enseignement, ce qui nous fait garder espoir.
Qu’en est-il de votre rencontre avec Women of the Sun (Femmes du Soleil) le 25 mars ?
C’était à l’occasion du Mois de la Femme. Nous étions en contact avec des Palestiniennes depuis la création de WWP. Nos réalités sont tellement différentes : nos gouvernements, nos contraintes, notre statut dans les gouvernements sont très différents. Nous avons des mouvements qui répondent à ces différentes réalités.
C’est plus difficile pour les Palestiniennes que pour les Israéliennes de former un mouvement pro-paix. Il y a beaucoup de gens en Palestine qui pensent que les Palestiniens ne devraient avoir rien à faire avec les Israéliens, et qui sont opposés à toute forme de normalisation.
Nos deux organisations pensent que nous devrions travailler chacune de son côté à influencer nos gouvernements respectifs afin de parvenir à une entente politique. Women of the Sun a été formé le 25 mars. Nous avons lancé ensemble un « appel des mères ». Nous espérons obtenir quatre millions de signatures de partout dans le monde.
Croyez-vous toujours à la solution dite des « deux États »?
Nous avons décidé, d’un point de vue stratégique, de ne privilégier aucune solution. Nous insistons sur la nécessité absolue d’en venir à une entente. Toute entente qui serait mutuellement acceptée et respectée par les deux parties nous conviendrait.
Nous avons pris cette décision parce que plusieurs plans de paix dans lesquels des millions de dollars ont été investis remplissent les bibliothèques de toutes les universités et ministères du monde. Et ils n’ont rien donné.
À moins qu’il y ait la volonté d’en arriver à une entente, cela n’arrivera jamais. Il est moins important de présenter une solution spécifique que d’en arriver à ce que le public influence le gouvernement et lui dise : nous ne nous soucions pas tant de la solution spécifique que de voir se profiler quelque chose qui soit acceptable aux deux parties.