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Christian Tiffet
Rudy Le Cours
Quand Paul McCartney a esquissé une première fois sa chanson When I’m sixty-four, à la fin des années cinquante, il ne se doutait pas que ce jeune âge créerait pareil tollé en France, quelque soixante-quatre ans plus tard.
Le report proposé de 62 à 64 ans de l’âge de la retraite dans l’Hexagone donne lieu à une mobilisation peu commune, ahurissante pour nous, même si la contestation est devenue là-bas un sport national. La mobilisation vient avec un pot-pourri de slogans plus divertissants et démagogiques les uns que les autres: La retraite avant l’arthrite; Métro, boulot, caveau; Retraite: elle dépasse les BORNE(s) (allusion à la première ministre Élisabeth Borne), etc.
Au pays où triomphe l’autofiction en littérature, on est quand même capable d’imagination, parfois!
Ces formules bien ramassées font néanmoins sourciller, pour peu qu’on compare le sort des Français à celui des autres Occidentaux.
La réforme actuelle propose de faire passer l’âge légal de la retraite à taux plein de 62 à 64 ans, d’ici 2030 et d’augmenter d’un maximum de neuf mois à hauteur de 172 trimestres (ou 43 ans) la période de cotisations pour avoir droit à une pension sans décote.
Seule la Suède partage avec la France un âge aussi jeune pour accéder à une pleine retraite, mais il grimpera à 64 ans dès l’an prochain. Il est d’au moins 65 ans dans les autres pays d’Europe dont plusieurs ont déjà annoncé une majoration à venir (1). Au Canada, il se situe à 65 ans.
S’il est vrai que l’espérance de vie est moins élevée pour la population ouvrière que pour la fonctionnaire, il n’empêche qu’on vit en moyenne longtemps retraité en France: 21,6 ans, après 65 ans. Seul le Japon offre mieux: 22 ans. Le Canada est septième à 20,7 ans, les États-Unis loin derrière à 19,4 ans. L’espérance de vie moyenne à 65 ans des 36 pays de l’OCDE est de 19,7 ans. (2)
Un système généreux et fragile
Le président Emmanuel Macron et sa première ministre affirment que la réforme est essentielle pour préserver le système de retraite français basé sur la répartition. En clair, les cotisations de la population active servent avant tout à défrayer les pensions des retraités. Dans ce système, il n’y a pas d’épargne, mais transfert intergénérationnel d’argent, des plus jeunes aux plus vieux.
Tout fonctionne tant que la population active reste beaucoup plus nombreuse que la retraitée. Avec le vieillissement observé partout en Occident, le ratio de la population active sur la retraitée diminue, en France comme ailleurs, ce qui met en péril tout son système de retraite. Il n’est plus que de 2,7 actifs pour un retraité.
Dès lors, vient la fameuse question qui tue: Qui doit assumer les déficits à venir du régime: l’État? les plus riches? les employés? les employeurs? les retraités? Bien sûr, personne ne lève la main.
Le président Macron a indiqué où il loge: ce ne seront ni les retraités, ni les plus riches. Pas question non plus que l’État ramasse l’ardoise à lui seul, bien que Mme Borne ait indiqué que 30 000 personnes environ sur le marché du travail depuis l’âge de 20 à 21 ans pourraient partir à la retraite dès 63 ans, dans un effort pour trouver des appuis parmi la droite parlementaire. Cette mesure représente grosso modo une facture de 600 millions à un milliard d’euros.(3)
Reste un grave trou que la réforme garde béant. Le taux de chômage chez les 55 ans et plus est très élevé en France. Si on retarde de deux ans la retraite de cette main-d’œuvre, beaucoup risquent de s’appauvrir. « Les employeurs hésitent à embaucher des travailleurs âgés parce qu’ils peuvent compter sur moins d’années pour amortir leurs coûts de formation », fait valoir Julien Navaux, attaché de recherche à l’Institut sur la retraite et l’épargne, rattaché à HÉC. « En augmentant l’horizon de deux ans, on va peut-être augmenter le taux d’emploi de ce groupe d’âge », suggère-t-il.
En 2021, 56 % de la tranche des 55-64 ans détenaient un emploi en France (4), contre plus ou moins 63 % au Canada l’an dernier, mais moins de 60 % au Québec.
Petites comparaisons
Au Canada, le système de retraite repose sur la Sécurité de la vieillesse (SV), financée à même le budget fédéral, le Régime de pension du Canada ou son pendant le Régime des rentes du Québec (RPC-RRQ) financé moitié-moitié par les employés et les employeurs, avec création d’une réserve de capital pour assurer sa pérennité pendant 50 ans, ainsi que, sur une base volontaire, les Régimes complémentaires de retraite parrainés par quelques employeurs et l’épargne-retraite individuelle.
La pension annuelle de la SV s’élève à 8250 $ cette année. Pour les 75 ans et plus, elle atteint 9075 $.
La rente maximale versée par le RPC ou le RRQ s’élève à 15 678,84 $ cette année. Peu de gens toutefois touchent le maximum puisqu’ils n’ont pas cotisé au total du gain maximum admissible, soit 66 000 $, leur salaire étant moins élevé. En 2020, la rente moyenne s’élevait à 6420$, ce qui représente environ 6940 $ en 2022 si on applique un taux d’indexation de 3 % et de 5 % pour 2021 et 2022.
Bref, le revenu de pension moyen obtenu de l’État par un retraité canadien de 65 ans s’élève à quelque 15 000$, le maximum à 24 753,84 $. C’est bien peu.
La population retraitée française a droit à bien davantage. La pension minimale annuelle du système de base équivaut à quelque 12 400$ (Taux de change utilisé: un euro équivaut à 1,45 $). À cela s’ajoute la rente des régimes complémentaires de retraite, obligatoires en France. Au final, la pension moyenne annuelle s’élève à 26 256 $. (5)
Mais elle peut être beaucoup plus élevée, dès qu’on atteint les couches plus élevées de la classe moyenne.
Voici deux exemples préparés pour En Retrait par la filiale française de la firme d’actuaires Aon.
Un employé dont le salaire final s’élève à quelque 48 000 euros (environ 70 000 $) part à la retraite à 62 ans. Sa rente publique s’élèvera à quelque 38 000 $.
Il y a mieux. Un cadre qui gagne 261 000$ au moment de sa retraite à 62 ans aura droit à une pension publique qui frôle les 100 000 $. Et il y a de fortes chances qu’il bénéficie en plus d’un régime de retraite supplémentaire parrainé par son employeur !
Cette générosité cache toutefois une grande inégalité entre les hommes et les femmes. La rente des femmes est près d’un tiers inférieure à celle des hommes, même si elles prennent leur retraite en moyenne quelques mois après les hommes. Au Canada, cet écart atteint 20 %. Dans l’OCDE, l’écart moyen est de 24 % (6). Cela dit, au bout du compte, même avec un écart moyen plus élevé, la rente publique d’une Française reste en un peu plus élevée que celle d’une Canadienne.
Beaucoup de ponctions, peu d’épargne
Avec ces chiffres, on comprend mieux l’attachement des Français à leur régime de retraite, aussi fragile soit-il.
En plus de coûter cher aux employeurs, qui défraient une plus grande partie des ponctions sur les salaires que leurs employés, le coût des retraites françaises équivaut à 14,8 % du Produit intérieur brut, contre 5,4 % pour les canadiennes, souligne M. Navaux. Et le système de répartition ne crée aucune richesse. « Le système canadien permet de générer de l’argent pour investir. C’est une certitude », insiste-t-il.
Ainsi, la cagnotte du Régime des rentes s’élevait 105 milliards, en 2021, celle des régimes de retraite des employés directs et indirects du gouvernement du Québec à 107 milliards. Ce bassin de capital est placé à la Caisse de dépôt et placement qui l’investit pour assurer la viabilité des régimes et le développement économique. Tous les autres régimes publics et privés fondés sur l’accumulation de capital plutôt que la répartition contribuent aussi à l’essor de notre société.
En revanche, contrairement au nôtre, le système français réduit à la retraite les inégalités de revenus observées durant la vie active. D’où l’empressement à devenir retraité.
Ce ne sont évidemment pas ces enjeux qu’avait en tête Paul McCartney quand il a écrit sa jolie ballade aux tonalités rétro. On peine à croire ce que serait la réaction française si on faisait jouer la version québécoise de la fameuse chanson, interprétée par Renée Claude (7). Elle s’intitule: À soixante-quinze ans!
(1) https://mail.google.com/mail/u/0/#inbox/KtbxLxGXBHNHljPrMNjlFwXbjfWBrcbwjV
(6) https://www.mercer.ca/fr/notre-philosophie/avoirs/indice-mondial-systemes-retraite-2021.html