À propos de l'auteur : Serge Truffaut

Catégories : International

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Christian Tiffet

Serge Truffaut

Le 24 octobre 1922, lors d’un rassemblement fasciste tenu à Naples Benito Mussolini formula la menace suivante : « Ou ils [NDLR: le roi et les parlementaires) nous donnent le gouvernement, ou on le prend en allant à Rome. » Afin d’effrayer durablement Victor-Emmanuel III et les élus de la chambre et du sénat, les chemises noires prirent le pouvoir à Crémone, Florence et Pise dans les 48 heures suivant la déclaration de Mussolini.

Auparavant, en août pour être exact, il avaient occupé Milan pendant une semaine, démit le maire et les conseillers de Livourne avant de transmettre le pouvoir municipal aux autorités militaires présentes à Gênes et à Parme. Moins spectaculaires furent les occupations ici et là de commissariats et de gares. De ces épisodes, un fait doit être retenu : dans tous les cas, les membres du Parti national fasciste (PNF) fondé le 11 novembre 1921, eurent recours à la violence.

Le 28 octobre, 20 000 chemises noires pénétraient dans Rome. Par un de ces paradoxes dont l’Histoire a le secret, ce jour-là deux peurs, pour ne pas dire deux lâchetés, se sont manifestées, voire croisées. Vétéran de la Première guerre mondiale, Victor-Emmanuel craignait que les fascistes ne le renversent pour mettre à sa place le Duc d’Aoste qui, contrairement à son cousin le roi, était un sympathisant fasciste. Il refusa donc de signer le décret d’état de siège.

Si tel avait été le cas, alors un contingent de 26 000 militaires basés à Rome et bien armés seraient partis à la chasse aux fascistes qui ne l’étaient pas, armés. Et La Marche sur Rome réduite à un mauvais souvenir.

L’autre peur habitait Mussolini en personne. Redoutant que le roi signe justement le décret qui aurait mis fin à l’aventure fasciste de cette époque, il s’était « planqué » dans un villa située à 41 km au nord de Milan. Autrement dit à quelques minutes de la frontière suisse où il prévoyait se réfugier si le roi ordonnait une contre-offensive musclée.

Le pouvoir à Benito

Le 30 octobre, après une entrevue avec le roi, Mussolini présentait à 19h 20 un gouvernement, fait majeur, de coalition ne comprenant que trois membres du parti fasciste. En accordant la portion congrue au PNF, Mussolini cherchait à dédiaboliser son mouvement, comme le font aujourd’hui Marine Le Pen et Georgia Meloni, histoire de gagner le temps nécessaire à la mise en place, discrète dans un premier temps, d’un appareil d’État à sa botte.

Dans un entretien accordé à la revue L’Histoire pour son numéro spécial (No 94) consacré récemment au fascisme italien, Maurizio Serra, historien, diplomate et membre de l’Académie française, soulignait que si « Hitler avait inscrit sa doctrine dans Mein Kampf » et si «Staline disposait du programme marxiste-léniniste », pour « le fascisme tout reposait sur Mussolini, sur l’homme, sur le personnage qu’il a construit. Les années 20 constituent pour lui une période d’apprentissage constant de la dictature. C’est un touche-à-tout idéologique. » Bref, pour reprendre les mots, dans le même entrevue, de Marie-Anne Matard-Bonucci, professeur d’histoire à Paris-VIII, « le fascisme se construit en marchant ».

À compter de 1923, il va accélérer le rythme de la marche évoquée. En janvier, le roi ayant le monopole de la violence d’État, ainsi que le prescrit la Constitution, Mussolini fonde la Milice volontaire pour la sécurité nationale. À l’été de la même année, il fait voter une loi de la censure de la presse avant la loi Acerbo qui attribuait la majorité absolue au parti qui aurait récolté 25  % des suffrages.

Ainsi donc, cet homme, qui selon Serra, « ne veut personne, ne croit en personne, se méfie de tout le monde et méprise tout le monde », a construit au cours de 1923 les bases du pouvoir absolu protégé par le recours systématique à la violence. On ne compte plus le nombre d’opposants assassinés en vue des élections de 1924 dont le célèbre député socialiste Giacomo Matteotti qui allait révéler comment Mussolini et ses proches s’étaient passablement enrichis à coup de pots-de-vin.

Pour revenir aux bases évoquées, elles ont ceci de particulier qu’elles constituent une nouveauté. Dans une entrevue accordée également à L’Histoire, Emilio Gentile, professeur à l’université La Sapienza de Rome, souligne en effet que « pour la première fois dans une démocratie parlementaire, un parti de type ‘milice’ parvient à détruire le régime ancien et à imposer la dictature d’un seul parti ».

Explosion antisémite

Après avoir cadenassé l’Italie avec les diktats du fascisme, après avoir conquis l’Éthiopie en 1935-36, Mussolini va s’employer au passage à l’étage supérieur : le totalitarisme revu et corrigé par Hitler. Cette montée en puissance du totalitarisme a commencé le 14 juillet 1938 avec la parution dans Giornale d’Italia d’un mémorandum non signé.

Dans ce texte on peut lire notamment ceci : « Les races humaines existent ; il y a des races inférieures et supérieures ; le concept de race est purement biologique ; la population italienne est d’origine aryenne ; il est temps que les Italiens se déclarent franchement racistes ; les Juifs n’appartiennent pas à la race italienne. » Approuvé par Mussolini, ce texte sera ultérieurement baptisé Manifeste des scientifiques.

Au lendemain de sa parution débuta la mise en place progressive d’interdits comme ce fut le cas en Allemagne à partir de 1933. Les interdits portés sur l’enseignement, la propriété de biens, l’administration publique, l’armée etc… En clair, l’inclination antisémite en Italie fut plus prononcée qu’on ne le dit encore parfois aujourd’hui.

À preuve ceci : dans la foulée des événements guerriers de l’été 1943 et en particulier de la présence, en septembre de la même année, de l’armée allemande dans le centre-nord du pays, le régime participa volontairement à l’élimination des Juifs italiens. On notera que dès 1942, les dirigeants italiens connaissaient les buts de la solution finale. Toujours est-il qu’afin d’accélérer ce processus, Adolf Eichmann envoya Theodor Dannecker pour présider aux déportations vers les camps d’extermination des Juifs italiens.

Le 16 septembre 1943, un premier convoi fut envoyé à Auschwitz. Le 28 octobre, l’ambassadeur allemand au Vatican, envoya le télégramme suivant à Berlin : « Le pape, [NDLR: Pie XII] bien que sollicité de diverses parts, n’a pris aucune position publique contre la déportation des Juifs de Rome.»

On rappelle cet aspect du dossier pour mieux avancer un constat : le devoir de mémoire dont l’immense écrivain et essayiste italien Primo Levi se fit le chantre semble avoir été réduit à une peau de chagrin en ce pays. Alors que…

Alors que, pour reprendre les précisions de l’historien Gentile : «…durant les vingt années du régime, le PNF opéra une constante et régulière démolition des institutions de l’Italie parlementaire et de la société italienne. Au profit d’un régime qu’il faut bien appeler ‘totalitaire’.

« Le terme même de ‘totalitarisme’ est né en Italie. Il a été employé pour la première fois en 1923 par des antifascistes […] Par totalitarisme, j’entends […] un nouveau système de domination politique inventé par un parti révolutionnaire unique qui aspirait au monopole total sur l’État et sur la société, et visait à une révolution anthropologique, c’est-à-dire à créer un homme nouveau. »

Benito Mussolini, entouré de Chemises noires.
En ce 28 octobre 1922, il annonce « s’emparer des rues d’Italie ».
Deux jours plus tard, il se verra confier les pleins pouvoirs.

© Bridgeman Images

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