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Louiselle Lévesque
La langue basque (euskara) montre des signes de renouveau, pourtant menacée de disparition après les ravages de plus de trois décennies de dictature franquiste (1939-1975) qui a écrasé d’une main de fer toute manifestation nationalitaire * autre que celle de la majorité espagnole. Et le Québec n’est pas étranger à ce regain de vitalité en raison d’une coopération fructueuse avec le Pays basque (Euskadi) dès le début des années 1980, des échanges économiques et culturels qui se poursuivent toujours, principalement autour de l’enjeu linguistique.
L’état de la situation
La dernière enquête sociolinguistique effectuée en 2021 dans les trois provinces de traditions basques (l’ Álava, le Gipuzkoa et la Bizkaia) regroupées au sein de la Communauté autonome du Pays basque confirme que l’euskara reprend de la vigueur.
L’étude dont les résultats ont été rendus publics en mars dernier révèle une nette progression de la proportion de bascophones dans ces territoires du nord de l’Espagne où le basque bénéficie depuis 1979 du statut de langue co-officielle avec le castillan.
On y comptait 24 % de locuteurs en 1991. Ils représentent maintenant 36 %, soit 700 000 bascophones âgés de 16 ans et plus, et 900 000 si l’on tient compte des 5 ans et plus, sur une population d’environ 2 200 000 habitants.
L’adhésion des jeunes
L’un des éléments les plus encourageants de cette avancée réside sans doute dans le fait que les progrès les plus spectaculaires ont été enregistrés auprès des jeunes de 16 à 24 ans, suivis de la tranche d’âge des 25 à 34 ans. C’est chez les personnes de 65 ans et plus que la proportion de locuteurs est la plus faible.
La Navarre, autre province espagnole où l’on retrouve des bascophones, n’est pas incluse dans ce portrait statistique tout comme les trois provinces basques situées dans le sud-ouest de la France, plus précisément dans le département des Pyrénées-Atlantiques où l’euskara connaît au contraire un réel déclin depuis 25 ans.
Un patrimoine fragile
Avec au total un peu plus de 1 100 000 locuteurs, le basque fait partie de ces langues minoritaires dont la survie dépend de politiques linguistiques vigoureuses. C’est ce à quoi s’est attelé le premier gouvernement de la Communauté autonome du Pays basque dès son élection à la fin des années 1970, des efforts qui ne se sont pas démentis depuis.
Quand on sait que l’enseignement du basque a été interdit durant toutes les années du régime franquiste, la revitalisation de cette langue unique, parmi les plus anciennes d’Europe, qui ne ressemble ni au français ni au castillan relève de l’exploit. Et qu’on ait réussi à lui insuffler un élan nouveau ne peut que susciter l’admiration.
Une « société distincte »
Après la mort de Franco en novembre 1975 et l’adoption d’une nouvelle constitution espagnole trois ans plus tard, des négociations s’engagent avec Madrid et en 1979, le Pays basque devient l’une des trois communautés autonomes historiques avec la Catalogne et la Galice à être reconnues par l’État espagnol.
L’accord conclu avec le Pays basque confère à cette « société distincte » une importante autonomie politique et économique, assortie de compétences notamment en matière d’éducation, de santé et de développement économique.
Et surtout le gouvernement basque a le pouvoir de prélever tous les impôts et les taxes et de transférer au gouvernement central la part qui lui revient pour les services fournis par Madrid sur son territoire. Une prérogative qui fait aujourd’hui l’envie de la Catalogne mais qui a par ailleurs l’inconvénient de priver le Pays basque de toute aide financière de Madrid lorsque l’économie se porte mal.
Le Pays basque est une région prospère, siège de plusieurs grandes banques espagnoles, qui a tout de même connu son lot de violence. L’ÉTA (Euskadi ta Askatasuma ou Pays basque et liberté), une organisation fondée en 1959 pour résister à la dictature s’est transformée dans les années 1960 en organisation terroriste, perpétrant des attentats qui ont fait plus de 800 morts et des centaines de mutilés. Le groupe annonce en 2011 la fin de sa lutte armée et en 2018 sa dissolution.
La Loi 101, un modèle
« Le Pays basque s’est beaucoup inspiré de la politique linguistique du Québec », nous dit Miren Azkarate, professeure de philologie (étude des langues) à l’Université du Pays basque (Universidad del Pais Vasco).
Elle vient de faire un séjour de quelques semaines au Québec comme chercheuse invitée à l’Université McGill où une chaire en études basques a été créée l’an dernier avec le soutien du Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises et de l’Etxepare Euskal Institutua. Cet institut fait la promotion de la recherche sur la langue et la culture basques dans des universités de premier plan à travers le monde.
Au début des années 1980, c’est le gouvernement de René Lévesque qui est au pouvoir qui est au pouvoir et la Charte de la langue française, l’une de ses mesures-phares, a été adoptée en 1977. « Les efforts pour revitaliser le français, vous aviez commencé quelques années auparavant, poursuit-elle. Alors, c’était une langue minoritaire, bien sûr dans un contexte différent de la langue basque mais, quand même, il s’agissait d’une société avec une volonté très claire de revitaliser la langue, qui avait des politiques et une planification pour leur mise en œuvre qui inspiraient vraiment les politiciens à cette époque-là. »
Ainsi, la loi sanctionnée en 1982 par le parlement de la Communauté autonome basque a plusieurs points communs avec la Loi 101. « Ce n’est pas exactement la même chose, précise la professeure, mais on reconnaît des droits linguistiques aux citoyens et il y a des devoirs pour les administrations publiques. On reconnaît le droit pour l’enseignement en basque et il peut y avoir des médias qui diffusent en basque. »
La langue d’enseignement
Le Pays basque a implanté un système scolaire qui offre trois types de parcours aux niveaux primaire et secondaire : l’un qui donne la priorité au castillan avec l’euskara en mineure, l’autre qui donne la priorité à l’euskara avec le castillan en mineure et un troisième à mi-chemin entre les deux.
Il appartient aux parents de décider quel modèle ils privilégient pour leurs enfants. Et les dernières données sont très prometteuses puisque près de 60 % des parents optent pour le parcours qui accorde la prédominance au basque, ce qui ne manque pas de se répercuter plus tard au lycée et à l’université.
Ces petits succès obtenus de haute lutte se réalisent dans le contexte où la Constitution espagnole oblige tous les citoyens qui vivent en Espagne à apprendre le castillan, et malgré le fait que l’administration de la Communauté autonome est tenue au bilinguisme puisqu’elle doit garantir que tous les services gouvernementaux offerts en basque le soient également en castillan.
Un partage d’expertise
Au cours des dernières décennies, plusieurs experts et chercheurs québécois ont prêté main forte aux autorités basques dans leurs efforts de réappropriation linguistique.
Ces échanges ont permis entre autres de mettre au point le questionnaire qui sert à l’enquête sociolinguistique réalisée tous les cinq ans, de dégager des pistes sur la façon d’en analyser les résultats ou encore de contribuer au travail colossal d’harmonisation et de simplification de la langue basque écrite (qui comportait plusieurs dialectes) ainsi qu’à la conception d’outils pédagogiques afin d’en faciliter l’enseignement.
Richard Bourhis, professeur émérite au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal fait partie de ces spécialistes qui ont mis l’épaule à la roue. Il qualifie d’héroïque la détermination dont les Basques ont fait preuve. « C’est énorme ce qu’ils font parce qu’il partent de tellement plus loin que nous. »
Une parenté politique
En plus de sa carrière universitaire, Miren Azkarate a occupé le poste de ministre de la Culture dans le gouvernement basque de 2001 à 2009, aux côtés du président Juan José Ibarretxe, souvent comparé à René Lévesque. En 2003, le chef indépendantiste présente au gouvernement espagnol une proposition de souveraineté-association qui aurait permis au Pays basque « librement associé » à l’Espagne de se doter de son propre système de justice et d’avoir une représentation au sein de l’Union européenne. Sans surprise, le plan Ibarretxe est rejeté du revers de la main par Madrid.
Fin octobre 2017, soit quelques semaines après le référendum en Catalogne et la déclaration unilatérale d’indépendance durement réprimés par l’État espagnol, un autre président du gouvernement basque, Iñigo Urkullu, vient au Québec pour signer avec le gouvernement de Philippe Couillard une nouvelle entente de coopération à plusieurs volets dont celui de la promotion du français et du basque des deux côtés de l’Atlantique.
Le dirigeant nationaliste profite de son passage devant le Conseil des relations internationales de Montréal pour exprimer son désir d’avoir comme le Québec « la capacité de décider de son propre avenir et de consulter sa société ».
Et il se dit inspiré par la Loi sur la clarté référendaire adoptée par le gouvernement fédéral de Jean Chrétien à la suite du référendum québécois de 1995, mesure pourtant décriée par les souverainistes et qui a conduit l’Assemblée nationale du Québec à réaffirmer, dans une loi sur les prérogatives du peuple québécois, le droit du Québec d’assumer son propre destin et de déterminer son statut politique.
Mais Iñigo Urkullu est convaincu que c’est l’avenue qu’il faut emprunter pour permettre aux petites nations sans État de se faire entendre. « Je suis persuadé que tôt ou tard, l’Union européenne devra aborder une directive sur la clarté pour répondre aux aspirations des différentes nations qui la composent. »
En écho à cet appel, juin 2018, des dizaines de milliers de Basques forment une chaîne humaine sur plus de 200 kilomètres, entre San Sebastian et Vitoria la capitale, pour revendiquer le droit de se prononcer sur leur avenir politique. Une histoire à suivre.
- Qui exprime une revendication nationaliste différente de celle, majoritaire, de l’État-nation ou de celle, morcelée, d’un État multinational.