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Valérian Mazataud
François Legault, premier ministre sortant du Québec
Louiselle Lévesque
Le Parti conservateur du Québec (PCQ) et son chef Éric Duhaime joueront-ils les trouble-fête dans une campagne électorale qui s’annonçait sans surprise et dont l’issue semble écrite d’avance, la seule inconnue de l’élection générale du 3 octobre étant de savoir qui formera l’Opposition officielle à l’Assemblée nationale ?
Force est de constater que la présence d’Éric Duhaime a d’ores et déjà des répercussions sur la campagne en cours qui vont bien au delà de sa popularité dans les intentions de vote. À voir le chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ) et premier ministre sortant François Legault se démener, parfois de façon maladroite, pour ne pas se faire doubler sur sa droite confirme que le PCQ est perçu comme une menace surtout dans la région de la capitale nationale.
Le mystère de Québec qui n’a jamais été élucidé et qui a donné du fil à retordre à bien des formations politiques pourrait s’épaissir encore un peu plus le soir du 3 octobre.
Ce que révèle la campagne
Le professeur de science politique à l’Université d’Ottawa, Luc Turgeon, croit qu’ « il y a des enjeux qui ne seraient pas autant discutés si ce n’était pas d’Éric Duhaime ». Il pense notamment à la gestion de la pandémie par le gouvernement Legault. De passage en Beauce où le chef conservateur croit pouvoir faire une percée, François Legault a senti le besoin de se justifier en se lançant dans un plaidoyer pour la liberté mais une liberté « responsable » qui tient compte du devoir de sauver des vies et de protéger les aînés.
Il semble donc que la grogne face aux mesures sanitaires prises durant la pandémie de Covid-19 ne se soit pas complètement évanouie. Il subsiste un fond de ressentiment sur lequel peut tabler l’ancien animateur de radio et habile communicateur, qui se présente dès qu’il en a l’occasion comme le grand défenseur des libertés individuelles.
Le rôle effacé des partis d’opposition pendant la crise sanitaire qui s’est étirée sur plus de deux années donne au polémiste de droite la chance de faire valoir ses idées libertariennes. Éric Duhaime pense marquer des points en continuant de marteler le clou des décisions « liberticides » du gouvernement Legault.
Protéger ses acquis
« François Legault voit le Parti conservateur comme le seul qui peut lui faire perdre des sièges, le seul qui menace un peu certains de ses acquis », estime Luc Turgeon qui constate que l’effet Duhaime se répercute sur l’itinéraire de François Legault. « Il passe quand même assez de temps dans les comtés qu’on aurait pensé acquis à son parti mais où l’on craint une poussée du Parti conservateur. »
Le politologue y voit le signe que « François Legault veut éviter que ses supporters qui sont naturellement à la droite de l’échiquier politique soient tentés d’aller voir son concurrent ». Les promesses de baisses d’impôt et l’ouverture au privé dans la santé sont pour le chef de la CAQ une façon de répondre à cette préoccupation, ajoute-t-il.
Un Québec chamboulé
L’élection de 2018 avait entrainé une reconfiguration des forces en présence, rappelle Alain Noël, professeur de science politique à l’Université de Montréal, puisque c’était la première fois en presque 50 ans que ni le Parti libéral du Québec (PLQ) ni le Parti québécois (PQ) ne formait le gouvernement.
Disparus de l’écran radar l’enjeu de la question nationale et la traditionnelle opposition entre fédéralistes et indépendantistes. « C’est la CAQ qui a bénéficié de ce changement parce que ça faisait en sorte qu’il y avait moins de concurrence au centre droit. »
Une fois au pouvoir, poursuit Alain Noël, François Legault s’est positionné davantage au centre, là où se trouve la majorité de la population, et cela lui a permis d’occuper tout le terrain durant la pandémie. « Donc pendant le mandat, le débat s’est fait plus au centre et même au centre gauche parce que dans le fond les Québécois sont attachés à leurs programmes sociaux. »
Et il constate qu’il n’y a pas au Québec un fort mouvement anti-État. « C’est un mouvement qui est apparu pendant la pandémie, qui est encore assez marginal, et qui a pris un peu d’élan avec l’arrivée d’Éric Duhaime. »
Un phénomène de contagion
L’entrée en scène d’Éric Duhaime incite le chef caquiste à se positionner plus à droite, en d’autres mots à occuper l’espace que le PLQ a déserté sous la gouverne de Dominique Anglade qui se situe désormais à gauche de la CAQ, selon le professeur Noël. « Elle ne se revendique pas de l’héritage de Philippe Couillard. Ses politiques sont plus généreuses, moins axées sur le déficit et l’austérité. »
C’est ainsi que François Legault joue dans le même registre qu’Éric Duhaime en ouvrant une porte plus grande au privé dans la santé, avec son projet de construction de deux mini-hôpitaux privés, l’un à Montréal et l’autre à Québec. « Ce n’est pas nouveau, il y a déjà beaucoup d’acteurs privés dans la santé, précise le politologue. Mais ça tire le spectre idéologique vers la droite et comme François Legault n’est pas tellement menacé sur la gauche il peut se permettre de se tasser un peu à droite. »
Poilievre, un accélérateur ?
L’élection de Pierre Polievre à la tête du Parti conservateur du Canada (PCC), qui devient du même coup le chef de l’Opposition officielle à la Chambre des communes, peut donner un élan à la campagne d’Éric Duhaime au Québec, estime Alain Noël parce que dit-il « ça normalise un discours qui était jusqu’à maintenant marginal et donc ça change l’univers des possibles ».
« On s’aperçoit, précise-t-il, qu’il y a un électorat pas très volumineux mais quand même un électorat plus à droite qui est ouvert à ce genre de discours et pour un parti comme la CAQ qui essaie d’attirer un grand nombre d’électeurs de toute provenance, c’est un défi. »
Et il ajoute que l’arrivée de Pierre Poilievre et la présence d’Éric Duhaime ont un impact certain sur le débat politique québécois et canadien. « Ça fait entrer de nouveaux thèmes et de nouveaux enjeux qui n’étaient pas abordés ou qui étaient même un peu tabous. Ça force les autres à au moins réagir à ça. »
Le politologue fait référence notamment à l’idée d’introduire encore plus de privé dans la santé et au retour à un discours favorable à la production pétrolière et gazière, sans oublier l’accent qui est mis sur les libertés individuelles au détriment des responsabilités collectives. « Ça change la teneur du débat. »
Si la campagne du Parti conservateur ne donne pas les résultats attendus, si son chef perd son pari de s’imposer dans le paysage politique, Alain Noël croit que « la CAQ va probablement se recentrer mais si au contraire ça devient un défi important, ca va changer la donne. »
Un plan de match chambardé
François Legault se préparait depuis des mois à mener une campagne sur l’axe gauche-droite en ciblant Gabriel Nadeau-Dubois de Québec solidaire comme son principal adversaire. Mais voilà qu’il se retrouve confronté à un Éric Duhaime qui se dit comme lui nationaliste, autonomiste et en faveur d’un troisième lien entre Québec et Lévis.
Bref, un chef qui courtise le même électorat que la CAQ et qui risque de gagner en crédibilité chaque fois que le premier ministre sortant s’attaquera à son programme. D’autant plus que le chef conservateur recycle plusieurs des mesures, comme les bébés-bonus, que mettait de l’avant l’Action démocratique du Québec avant de se saborder pour donner naissance à la CAQ.
Difficile de prédire à qui profiteront les votes que le Parti conservateur réussira à ravir à la CAQ. François Legault a un écueil sur sa route vers la victoire.