À propos de l'auteur : Claude Lévesque

Catégories : International

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Claude Lévesque

Le Brexit et la pandémie ont créé la « tempête parfaite » pour mettre l’Irlande du Nord sens dessus dessous. Ces six comtés « loyalistes » qui sont situés au nord de la République d’Irlande mais qui font partie du Royaume-Uni sont particulièrement touchés par les problèmes d’approvisionnement qui affectent ce dernier pays.

Le mécontentement y a déclenché une flambée de violence au printemps dernier. Comme cette situation résultait du Protocole nord-irlandais qui fait partie de l’Accord de retrait entre le Royaume-Uni et l’Union européenne entré en vigueur le 1er février 2020, Londres et Bruxelles (siège de l’UE) négocient depuis des mois pour éviter que l’Irlande du Nord ne replonge dans le cauchemar vécu pendant les « Troubles », cette guerre civile qui avait fait plus de 3500 victimes entre 1969 et 1998.

Des contrôles douaniers ont été mis en place en mai 2021, quatre mois après que le Brexit fût entré en vigueur au terme d’une période de transition de 11 mois. Ils affectent le Royaume-Uni tout entier. En Irlande du Nord, des difficultés supplémentaires, qui étaient pourtant prévisibles, se sont ajoutées. Expliquons.

Le « Protocole nord-irlandais », qui fait partie de l’Accord de retrait entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, réitère l’engagement que le Royaume-Uni et la République d’Irlande avaient pris en 1998 de garder ouverte, ou invisible si vous préférez, la frontière qui sépare en deux l’île qu’on appelle l’Irlande. Cet engagement est au cœur de l’accord dit « du Vendredi saint ».

On croyait à cette époque que cette ouverture allait aider à rétablir la paix entre les républicains et les loyalistes (on dit aussi les unionistes) en Irlande du Nord. On a eu raison, au moins jusqu’à tout récemment.

Démarcation

Avec le Brexit, cette frontière en Irlande est devenue une démarcation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Puisqu’on a convenu de la garder ouverte, c’est dorénavant en amont, c’est-à-dire avant qu’elles n’entrent en Irlande du Nord, que les marchandises expédiées à partir de la Grande-Bretagne (Angleterre, Pays de Galles et Écosse) sont contrôlées. Le problème est-il insoluble?

« Pas insoluble mais épineux, estime Frédéric Mérand, professeur de science politique à l’Université de Montréal (entrevue téléphonique). La question de l’Irlande n’avait pas été envisagée lors du référendum sur le Brexit en 2016, mais en République d’Irlande, on y a pensé. On a alerté les Européens et le problème est devenu un enjeu important des négociations. »

Aux problèmes vécus dans les chaînes d’approvisionnement s’ajoute aujourd’hui, surtout chez les unionistes, l’impression que l’Irlande du Nord ne fait plus vraiment partie du Royaume-Uni, une impression qui n’est pas tout à fait fausse. Les unionistes sont d’autant plus frustrés que le premier ministre, Boris Johnson, avait promis de ne jamais signer un tel protocole quand il avait succédé à Teresa May en juillet 2019.

Cette dernière avait proposé que le Royaume-Uni tout entier reste dans le marché unique et l’union douanière de l’UE tant et aussi longtemps qu’une solution respectant l’Accord du Vendredi saint et satisfaisant toutes les parties ne serait pas trouvée. Son propre parti l’a rejetée, trop pressé de couper les liens avec l’UE.

Boris Johnson a plutôt négocié un accord prévoyant que seule l’Irlande du Nord serait assujettie à certaines obligations propres au marché unique et à l’union douanière, ce qu’il avait pourtant promis de ne pas faire.

Lourdeur

Le Royaume-Uni et l’Union européenne ont beau avoir conclu un traité de libre-échange in extremis, le 30 décembre 2020, ce genre d’accord est très différent du « marché unique » européen que le Royaume-Uni a quitté. Le libre-échange vise à réduire ou à supprimer les tarifs et les quotas, mais il ne les interdit pas complètement comme c’est le cas entre les pays européens. Les marchandises et les personnes ne circulent plus librement entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.

Cette lourdeur s’ajoute à la pénurie de main d’œuvre, notamment de camionneurs, qui affecte de nombreux pays, dont le Royaume-Uni.

En Irlande du Nord, une vague de violence s’est déclarée à la fin du mois de mars 2021 et elle s’est prolongée pendant des semaines, faisant des dizaines de blessés, surtout chez les policiers. Elles ont généralement été attribuées aux loyalistes mais ces derniers ont reproché aux nationalistes d’avoir tenu des funérailles publiques pour un de leurs militants malgré les consignes relatives à la pandémie.

Les villes de Derry (ex-Londonderry) et Belfast ont été particulièrement touchés par les émeutes, qui impliquaient des jeunes peu scolarisés habitant dans des quartiers pauvres, qu’on a dits manipulés par leurs ainés. La violence a été condamnée par les premiers ministres irlandais et britannique, ainsi que par les chefs de tous les partis politiques nord-irlandais.

Après une accalmie de plusieurs mois, de nouveaux heurts ont été signalés récemment dans les mêmes localités qu’au printemps.

La Commission européenne (une instance de l’UE) a proposé de réduire d’environ 80% les contrôles sur les marchandises et d’environ 50% les autres formalités dans les ports nord-irlandais. Le commissaire européen responsable du Brexit, Maroš Šefčovič, a cependant ajouté qu’il est exclu de « renégocier » le protocole nord-irlandais. 

Ces concessions de la part de l’UE ont été jugées insuffisantes par le Royaume-Uni, représenté par son « ministre du Brexit », David Frost, qui a menacé de se prévaloir de l’article 16 de ce protocole. Un tel recours pourrait s’avérer lourd de conséquences, car il aurait pour effet de suspendre les accords conclus. « On ne peut pas détricoter facilement un traité, surtout que c’est la méfiance qui règne actuellement », estime Frédéric Mérand. Des tarifs ou d’autres représailles pourraient affecter encore davantage le commerce euro-britannique. Déjà, la France a ouvert un nouveau front en protestant contre le refus britannique d’accorder aux pêcheurs de l’Hexagone tous les permis qu’on leur avait promis.

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