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François Legault dit préférer l’intégration des immigrants à la hausse de leur nombre.
La pénurie de main d’œuvre amène les milieux d’affaires à réclamer plus d’immigration, d’autres voient là une volonté d’importer de la main-d’œuvre bon marché. Le gouvernement du Québec dit préférer l’intégration des immigrants à l’augmentation de leur nombre, d’autres y perçoivent un nationalisme indûment aigu. C’est un débat mal barré.
Jean Dussault
L’ouverture aux autres a l’immensément rare avantage de réunir une valeur fondamentale et une variable essentielle : le devoir et le besoin. Le devoir, c’est celui des moins inconfortables de la planète d’accueillir des immigrants et des réfugiés qui s’expatrient pour améliorer leur sort ; le besoin est celui de s’enrichir culturellement et économiquement.
À titre anecdotique, le nom de plusieurs spécialistes québécois qui ont commenté, analysé et expliqué la crise de la Covid depuis deux ans indique qu’ils et elles n’étaient pas Saguenéens ou Mauriciens de plusieurs générations.
De même : les « boat-people » vietnamiens d’il y a un demi-siècle dirigent aujourd’hui des écoles, des restaurants, des pharmacies ; leurs enfants s’appellent Hélène Nguyen et Fo Duffault.
Et ils ont lu Ru, en français.
La face cachée
C’est parce que l’immigration est à la fois humaniste et nécessaire qu’il faut éviter d’en faire un élément de débat sur la fierté nationale si chère aux militants caquistes réunis en congrès à la fin mai.
Bien sûr, tout un chacun peut avoir une opinion sur le nombre de personnes à accueillir; évidemment, il faut examiner le plus honnêtement possible l’impact sur les services publics causé par de nouveaux arrivants souvent dramatiquement démunis.
Il serait aussi opportun d’évaluer l’apport économique des plus nantis d’entre eux pour déterminer si l’immigration est globalement « rentable ».
Aucune recherche sérieuse ne démontre le contraire et il n’existe pas d’évaluation précise du nombre optimal d’immigrants à accueillir. La recherche intelligente d’équilibre a été remplacée par les clairons tonitruants de la (petite) politique. De part et d’autre.
Si la profonde et généreuse volonté collective est de chaleureusement et intelligemment intégrer les nouveaux venus, tout le monde y gagnera. Comme à Mékinac où tout le monde a compris que la viande halal et le djihadisme ne sont pas la même chose.(1)
Pour y arriver, il faut avant tout arracher le, hum, voile qui cache la discussion franche.
La maudite religion maudite
S’il y a certainement des questions légitimes sur l’immigration qui ne sont pas bêtement du racisme déguisé, il est néanmoins probable qu’une partie de l’inquiétude et même de l’opposition suscitées par l’immigration provient d’une perception d’envahissement religieux/musulman/islamiste.
C’est la conclusion de la Commission des Droits de la Personne et des Droits de la Jeunesse. « De nombreux intervenants semblent tenir pour acquis que les immigrants musulmans sont, dans leur vaste majorité, de fervents pratiquants mus prioritairement par leur foi en Dieu, et donc forcément hostiles à toute vision laïque et sécularisée des règles régissant la vie en société .» (2)
Des musulmans laïcs
Le rapport de la CDPDJ établit que les musulmans immigrés au Québec et les catholiques nés au Québec n’expriment pas plus publiquement leur religion les uns que les autres.(3).
De plus, la plus grande proportion d’immigrants à ne participer à aucune activité religieuse se trouve, à 62%, presque les deux tiers, chez les musulmans immigrés au Québec.(4)
En clair, le militantisme religieux des immigrants musulmans est une vue de l’esprit. Il est plausible que, par cette étude éclairante, la CDPDJ ait voulu combattre la xénophobie, plus particulièrement l’islamophobie.
Après tout, ou avant tout, la Commission défend les droits et libertés individuels garantis par la charte québécoise des droits et elle s’est opposée formellement à la loi 21 sur la laïcité dans certains services publics.
Quelque ait été le but de la recherche, le résultat en est limpide : la Commission démontre l’absence de liens entre immigration et prosélytisme, elle démonte l’argument de l’invasion islamisante dans l’opposition à l’immigration.
Une immigration invitée
Il y a plus de musulmans au Québec qu’il n’y en avait auparavant. Cette augmentation ne provient pas d’un mouvement, d’un envahissement musulman, encore moins islamiste.
C’est tout simplement que la politique québécoise d’immigration de 2008 à 2012 favorisait la venue de parlant français en provenance surtout d’Afrique du Nord, un terreau francophone jusque-là moins cultivé par le Québec que, disons, la France ou Haïti.
Malgré ce recrutement intensif, des données du ministère québécois de l’Immigration, la Francisation et l’Intégration, le MIFI, indiquent qu’en 2017, environ 6000 Nord-Africains ont émigré au Québec.(5).
En nombre comme en militantisme religieux, il ne s’agit pas du tout d’une meute menaçante.
La loi 101
En 1940, les Québécois francophones parlaient l’anglais à l’usine parce que c’était la langue des patrons. Si l’État québécois s’assure de la francisation des milieux de travail, les Néo-Québécois y parleront le français.
Au souper, ils compareront leurs néologismes avec ceux de leurs enfants qui auront fréquenté l’école en français depuis leur arrivée au Québec parce que c’est le cas depuis l’adoption de la loi 101 en 1977. L’hypothèse est que les enfants se trouveront meilleurs en français que leurs parents ; la probabilité est que ce sera le cas.
Une grande respiration
Dans le débat sur l’immigration, l’argument de la religion, en clair la crainte de l’islamisation, n’est pas basé sur des faits. Que les xénophobes le comprennent bien: qu’il s’agisse d’immigrants ou de réfugiés, ce ne sont pas des passeports qui menacent la nation québécoise ou sa laïcité.
Des personnes sont parties d’ailleurs pour venir ici dans l’espoir que ça aille mieux demain que ça n’allait hier. C’est sans doute la décision à la fois la plus difficile et la plus prometteuse de leur vie. Personne ne doit être exclu de cette noble et tellement périlleuse aventure.
Une porte ouverte
De larges pans de l’immigration musulmane sont formés d’êtres humains qui se sauvent de l’oppression politico-religieuse dans leur terre natale. Comme des milliers d’Asiatiques ont fui la guerre il y a cinquante ans, comme des milliers d’Européens de l’Est se sont évadés du soviétisme écrasant vingt ans plus tôt.
Maintenant, ce sont des Ukrainiens.
La première chose à faire, la seule, c’est de les accueillir.
Une fois à l’abri ici, ils pourront apprendre la très grande importance à accorder aux bottes d’hiver.
Et à d’autres particularités culturelles.
1-La Presse+. 29-05-22
2-CDPDJ 2.120-4.21.1 « La ferveur religieuse ». p.50
3-id. p.74
4-id. p.47
5-http://www.mifi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/Pub_Immigration_et_demo_2019.pdf