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Keir Starmer, le nouveau premier ministre travailliste, au lendemain de sa victoire aux élections législatives du 4 juillet.
Claude Lévesque
Les élections récentes — et peut-être en sera-t-il ainsi lors des prochaines, aux États-Unis par exemple — dans les pays démocratiques indiquent une volonté de changement, née la plupart du temps d’un ras-le-bol à l’égard des gouvernements sortants.
Changement pour le changement ? Il y a peut-être un peu de cela, mais ce serait un peu court, pour ne pas dire démagogique, de prétendre que « le problème c’est le système », ou que « les politiciens sont tous les mêmes », ou pire, qu’ils sont « tous des voleurs et des incompétents ».
Prenons le cas du Royaume-Uni, où le Parti conservateur (on dit aussi les tories) s’est effondré le 4 juillet après 14 ans au pouvoir et où les travaillistes (le Labour Party) ont réussi un retour qu’on a qualifié de « spectaculaire » même s’il était prévisible depuis des mois, voire des années.
Un peu de sérieux
Le Labour a promis d’unir un pays profondément divisé, en partie en adoptant un style différent de celui des tories (surtout de Boris Johnson et de l’éphémère Liz Truss), c’est-à-dire un retour vers un peu plus de sérieux et de dignité en politique, ce à quoi la plupart des Britanniques sont assez attachés.
En partie aussi en remettant sur pied les services de base, notamment les services sociaux, qui en ont bien besoin, ce qui suppose une fiscalité un peu plus progressiste, sans toutefois aller jusqu’à renouer avec l’habitude de taxer et de dépenser sans trop compter, qui était devenue à certaines époques la marque de commerce des travaillistes.
S’étant « recentré » depuis que Keir Starmer a succédé à Jeremy Corbyn, le Labour mise plutôt sur l’élaboration de politiques qui favorisent l’investissement public mais aussi et peut-être surtout l’investissement privé, susceptibles de faire mousser la productivité et la croissance. Le Royaume-Uni sous les travaillistes devrait dans ce contexte se doter d’agences chargées de moderniser et de « verdir» une infrastructure industrielle vieillissante.
Il a aussi promis de mettre en oeuvre un certain nombre de mesures susceptibles de séduire la classe laborieuse (pas une si mauvaise idée pour un parti qui se dit « travailliste ») : petits déjeuners dans les écoles, investissements en personnel et en équipements dans le réseau de la santé, interdiction de la vente de cigarettes et de boisson énergisantes aux jeunes, etc. (1).
Pour y arriver, le parti de Keir Starmer dispose d’une majorité confortable, détenant 411 des 650 sièges, ce qui traduit le fait d’avoir été préféré par 34 % des électeurs, comparativement à 24 % pour les conservateurs, 14 % pour le Reform Party de Nigel Farage et 12 % pour les libéraux démocrates.
La « longue marche » de Nigel Farage
C’est la première fois que Farage, qu’on peut décrire comme étant un populiste de droite, anti-européen et anti-immigration, obtient un siège à Westminster.
Il n’est pourtant pas un nouveau venu en politique puisqu’il a été élu six fois au Parlement européen, où il a siégé pendant plus de 20 ans tout en clamant que les Britanniques devaient se retirer de cette institution. C’est le grand paradoxe à propos de cet homme : les Britanniques l’ont à six reprises envoyé à Strasbourg pour les représenter mais n’ont jamais voulu qu’il siège à Westminster avant ce tout dernier scrutin … En fait, ils l’avaient rejeté à huit reprises dans ses tentatives de s’y faire élire.
Les 14 % recueillis par le parti de M. Farage représentent un score sans précédent pour cette mouvance. Il faut effectivement parler d’une mouvance plutôt que d’un seul parti, puisque le Reform Party est le « successeur » du Brexit Party, qui a lui-même succédé à l’United Kingdom Independence Party (UKIP), tous trois voués aux mêmes objectifs et dirigés par le même Nigel Farage.
Mais s’agit-il d’une tendance lourde ou d’un chant du cygne. Après tout, 14 % c’est beaucoup moins que ce que le Rassemblement national a obtenu au premier (33,35 %) ou au deuxième tour (32,05 %) à l’issue des récentes législatives en France.
Farage a adopté un ton triomphaliste à l’annonce des résultats dans la nuit du 4 au 5 juillet. Il a souligné le fait que les conservateurs de Rishi Sunak ont mordu la poussière parce que son parti est arrivé deuxième dans plusieurs circonscriptions, ce qui a permis au Labour de les remporter. Il a promis que la prochaine étape de cette « révolte contre l’establishment » allait cibler le parti de M. Starmer. (2)
Farage a clairement fait savoir qu’il vise très haut. Il a parlé d’un projet qui devrait s’étendre sur cinq ans et aboutir lorsque lui-même ou «quelqu’un de plus jeune et de plus séduisant» deviendra premier ministre. (3) Vaste programme ! Long et sinueux, quand même.
Livrer la marchandise
Ce n’est probablement pas avant plusieurs années que les Britanniques de la gauche et du centre devront, comme les Français, faire barrage à une « extrême droite » qui semble être aux portes du pouvoir.
Le vote en faveur du Labour a été particulièrement important dans le nord de l’Angleterre, qu’on peut comparer à la rust belt aux États-Unis. Dans cette région, la base traditionnelle du parti avait glissé du côté des conservateurs au cours de la dernière décennie. Plusieurs électeurs y blâmaient la mondialisation en général et les politiques de l’Union européenne en particulier pour les difficultés économiques que vivait leur région. Ils ont voté pour le Brexit mais ils ont déchanté quand les résultats n’ont pas été à la hauteur de leurs attentes.
Ils viennent de voter pour un parti qui se veut résolument centriste, rassurant, un réflexe assez typiquement britannique. Keith Starmer doit maintenant livrer la marchandise.
1 .-Paul Seddon, Starmer banks on economic growth to ‘rebuild Britain’, BBC, 13 juin 2024
2. – Henry Nicholls, Nigel Farage entre au Parlement, ce n’est que «le début» pour sa formation Reform UK, RFI, 5 juillet 2024
3. – Stefan Boscia, Can Nigel Farage ride the wave of right-wing populism ?, Politico, 7 juillet 2024
Nigel Farage