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Everly et Alydia Livingston au départ de Witchita à bord du vol 5342 d’American Airlines à destination de Washington le 29 janvier dernier. La photo a été prise par leurs parents qui les accompagnaient et envoyée à une amie avant le décollage.
Dominique Lapointe
On les appelait les Ice Skating Sisters. Membres du Washington Figure Skating Club, les filles de 14 et 11 ans étaient considérées comme d’éventuels espoirs olympiques. Leurs parents, Donna et Peter, se faisaient un devoir de les suivre le plus possible lors des compétitions. Ce championnat national au Texas aura été le dernier de la famille.
Mais pour le président des États-Unis cette nuit-là, il n’y a ni morts ni blessés dans la catastrophe.
Au contraire. Il y a une fabuleuse histoire à raconter sur les réseaux sociaux au sujet de Biden, des démocrates et leurs politiques d’inclusion. Des errances bureaucratiques à ses yeux qui ont possiblement mis en scène des contrôleurs wokes incompétents, psychologiquement inaptes et peut-être même handicapés, puisque les programmes fédéraux d’égalité, diversité et inclusion, les fameux DEI, faisaient aussi référence à toutes les minorités.
Car, rappelons-le, dans les jours précédant la catastrophe, Trump avait limogé les hauts responsables de la sécurité aérienne et décrété un gel des embauches pour faire le ménage. Bien sûr, on ne saurait faire un lien de cause à effet entre l’accident et ces décisions politiques en haut rang. À l’inverse pour lui, l’occasion était belle de leur donner un sens politiquement pertinent. Des morts au service du message.
Sans coeur Trump ? Pire encore !
Le sadisme politique
Bagdad1979.
Saddam Hussein règne en dictateur confortable sur son Irak. Un jour de juillet, il réunit les principaux dirigeants du parti Baas dans la grande salle du palais. Il leur annonce la découverte d’une conspiration contre sa personne. Le dénonciateur assis à ses côtés est prêt à tout dévoiler.
Des heures durant lors d’un discours-fleuve, la soi-disant taupe, qu’on avait pris soin de torturer dans les jours précédents pour lui faire « avouer » la conspiration, nommera un à un les « traîtres ». S’en suivront leurs arrestations immédiates devant un auditoire terrorisé, ne sachant qui serait le prochain sur la liste. La plupart des désignés furent exécutés après des simulacres de procès. Quelques-uns graciés en acceptant d’exécuter eux-mêmes leurs collègues.
La scène est un classique du sadisme politique, où l’on ne se contente pas de réaliser sa vengeance, quitte même à en inventer les motifs, mais aussi d’en faire un spectacle d’horreur.
Donald Trump, même s’il a exprimé maintes fois son désir de vengeance face à ses détracteurs, qu’ils eussent été ou non de proches collaborateurs, n’a sûrement pas l’intention de les faire exécuter comme un psychopathe. Mais nous assistons à la même terreur, version plus civilisée.
John Bolton, ancien conseiller de Trump à la Sécurité nationale, Mike Pompeo, ancien secrétaire d’État et son adjoint Brian Hook, ainsi que le général à la retraite et ancien chef de l’état-major sous Trump, Mark Milley, sont tous les quatre sur la liste noire des ennemis de l’Iran à abattre. Certains ont même fait l’objet de complots par des agents étrangers mis au jour par le FBI.
Donald Trump n’a jamais digéré que ces hauts responsables mettent en doute ses décisions et, dans certains cas, ses capacités à assurer la sécurité du pays lors de son mandat de 2017. Il leur a donc retiré leur service personnel de sécurité rapprochée. Et l’opération ne s’est pas faite en toute discrétion. Ils ont eu droit à des communiqués officiels avec la Maison Blanche en tête de page et, en prime, les commentaires du président visiblement ravi en point de presse. La terreur en spectacle.
Ajoutons l’ancien conseiller médical du président lors de la pandémie, l’immunologiste Anthony Fauci, qui reçoit quotidiennement des menaces de mort sur les réseaux sociaux de la part de conspirationnistes antivax radicaux. Il doit maintenant assurer sa sécurité à même ses émoluments de retraite pour avoir assuré la sécurité sanitaire du pays.
Pourrait-on imaginer le gouvernement du Québec refusant de protéger le Dr Horacio Arruda s’il était l’objet de menaces de mort explicites et répétées ?
Même Vladimir Poutine, qui ne se gêne pas pour faire suicider ses opposants, ne prend pas plaisir à les offrir en spectacle. Lorsqu’il eut s’agit de liquider son bras droit Evgueny Prigojine qui en menait trop large, on s’est contenté d’un bagage excédentaire sur son avion privé, en prenant soin de nier toute implication ensuite.
Dans les dictatures accomplies, plutôt que de mettre en scène la répression, on exhibe au contraire des simulacres de bonheur populaire. Pensons Russie, Chine, Corée du Nord.
Dans les autocraties en devenir, on a toujours besoin d’afficher son autorité.
Comme les opérations de rapatriement des migrants, enchaînés, menottes aux pieds et aux mains, montant dans des avions de la US Air Force. Des images officielles et dégradantes diffusées par l’administration Trump pour renforcer le message de terreur, et stimuler la satisfaction des MAGA.
Un rappel amer des enfants séparés de leurs parents lors de l’opération « tolérance zéro » de 2017, et dont un millier n’ont toujours pas retrouvé leur foyer familial.
Des citoyens, américains depuis plusieurs générations, ont même témoigné ces derniers jours de proches qui avaient été arrêtés lors de rafles anti-migrants en plein centre commercial. On a même tenté le coup dans des écoles avant d’y mettre fin après des dénonciations des autorités scolaires. Plus renversant encore, des autochtones embarqués par erreur à cause de leur couleur de peau. Imaginez, des descendants des premiers occupants du continent il y a 20 000 ans. On les déporte où, ces « migrants »?
Des anecdotes, mais qui illustrent parfaitement le dérapage commandé.
Sans oublier les centaines de milliers de personnes, entre autres des parents, sommés d’abandonner leur emploi dans les agences fédérales, avec leur assurance santé, leur régime de retraite et leur dignité pour un maigre six mois de salaire. Un drame épouvantable relatait une source anonyme qui recevait leurs appels désespérés au FBI.
Sur les réseaux sociaux, on a pu voir aussi de jeunes transsexuels témoigner en pleurs, déjà affligés psychologiquement, craignant désormais aussi pour leur sécurité physique dans la rue à cause de la rhétorique anti-woke à la Maison Blanche.
La haine débridée, Orlando 2016, 50 morts et 58 blessés au Pulse, un bar LGBTQ.
Pas fou Trump ?
Ces jours-ci, on prétend dans les médias que Trump n’est pas fou. Mais de quel type de folie parle-t-on ? Psychotique, névrosé, bipolaire ou autre, on peut penser qu’il ne serait jamais devenu président des États-Unis une seule fois. Il aurait pris soin de lui, peut-être …
Il y a toujours cette pudeur de prétendre qu’on ne peut porter de jugement sur la santé mentale d’un personnage public qu’on n’aurait pas évalué en cabinet. Un reliquat de la « Règle Goldwater » de 1973, lorsque certains psychiatres avaient publiquement mis en doute la capacité du candidat Barry Goldwater à briguer la présidence. L’American Psychiatric Association (APA) avait alors vivement sermonné ses membres en les rappelant à l’ordre dans une nouvelle règle à l’article 7.3 du code de déontologie.
Toutefois, en 2017, dans une lettre publiée dans le New York Times, 35 professionnels de la santé mentale mettaient leur pays en garde en faisant fi de ladite « Règle Goldwatter ». Selon eux, non seulement Trump n’avait pas l’équilibre psychologique pour la fonction, il représentait même un danger pour la nation avec son « narcissisme malfaisant », sa « grandiosité », son empathie nulle, son obsession à déformer la réalité et à s’attaquer à ceux qui la communiquent, les journalistes, les scientifiques.
Trump prend visiblement un plaisir pervers à étaler sa domination et ses châtiments. Impossible toutefois de savoir ce qu’il en fait en privé.
Le Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux, le DSM-5 , comprend plus de 1000 pages, dont une cinquantaine sur les troubles de la personnalité.
Jusqu’en 1994, dans la 3e mouture, on y retrouvait le trouble de la personnalité sadique, un comportement particulièrement cruel, agressif ou manipulateur dans le but de tirer un plaisir de la douleur ou de l’humiliation d’autrui.
Mais le DSM a toujours été l’objet de controverses dans la profession.
À cette époque, après moult débats, les auteurs-évaluateurs du nouveau DSM-4 ont finalement laissé tomber le terme de personnalité sadique pour fondre cette déviance dans les autres catégories des troubles de la personnalité. Et le motif est intéressant. On voulait éviter que la pathologie ne soit invoquée en cour … pour disculper un criminel.