À propos de l'auteur : Manon Cornellier

Catégories : Canada, Québec

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Les premiers ministres Justin Trudeau et François Legault

Manon Cornellier

« Si les Québécois veulent que le gouvernement du Québec ait plus de pouvoirs en immigration, il n’y a personne qui va pouvoir résister à ça», a affirmé le chef caquiste François Legault, gonflé à bloc au lendemain de sa victoire convaincante du 3 octobre. L’élection d’un plus fort contingent de députés caquistes peut-il changer le rapport de force à ce point pour donner l’avantage au Québec? On est en droit d’en douter.

Chose certaine, le premier ministre Legault entend mettre le paquet. Il a déjà fait de l’obtention de ces pouvoirs l’enjeu de l’élection. C’est maintenant, dit-il, une priorité de son gouvernement qui est étroitement liée à celle de la défense du français. À la sortie de son caucus postélectoral, il n’a écarté aucune solution, de la tenue d’états généraux à la mise sur pied d’une commission du genre Bélanger-Campeau, pour mobiliser les Québécois derrière cette revendication. En entrevue au Devoir, une semaine avant le scrutin, il n’a même pas écarté l’idée d’un référendum sectoriel.

Le Québec sélectionne déjà les immigrants économiques accueillis sur son territoire. M. Legault veut depuis des mois que le gouvernement québécois puisse contrôler aussi l’admission des immigrants acceptés en vertu du programme de la réunification familiale et ceux accueillis en tant que travailleurs étrangers temporaires.

« Ouvert à travailler »

Au lendemain de l’élection, le premier ministre Justin Trudeau a répété aux Communes que le Québec pouvait déjà donner préséance aux immigrants économiques francophones et s’il le voulait, en accueillir davantage. Ottawa « serait volontiers ouvert à travailler » avec lui, a-t-il dit.  Rien n’empêche Québec d’agir en ce sens puisqu’il ne sélectionne pas autant de nouveaux venus que le lui permet l’actuelle entente avec Ottawa, a relevé le ministre du Patrimoine, Pablo Rodriguez.

La réponse d’Ottawa ne pouvait surprendre Québec parce que ce dossier fait l’objet de discussions depuis des mois entre les deux capitales. On en parlait avant et après les élections fédérales de 2021 et on en parle encore. Tout comme de l’augmentation des transferts fédéraux en matière santé que réclament les provinces et qui est une autre priorité de M. Legault. On en parlait avant, pendant et après, et on en parle encore.

L’élection de 15 députés caquistes supplémentaires n’y changera rien car les raisons du désaccord entre les libéraux fédéraux et les caquistes sont trop profondes. Leur conception du fédéralisme et des enjeux identitaires divergent. Tant en matière d’immigration que de santé, les réponses d’Ottawa étaient connues avant même les élections fédérales de 2021 et cela n’a pas empêché les libéraux fédéraux de faire élire au Québec autant de députés qu’en 2019 alors que M. Legault avait enjoint aux électeurs québécois de voter pour les conservateurs qu’il jugeait moins centralisateurs. Son appel a fait chou blanc.

Relation pragmatique

Cela n’a pas perturbé les rapports entre les deux gouvernements, dit-on de part et d’autre, les deux premiers ministres n’ayant pas d’atomes crochus au départ, mais une relation foncièrement pragmatique. Il pourrait en être autrement des déclarations controversées de M. Legault et de son ministre Jean Boulet sur la question de l’immigration.

En gonflant les idées reçues du Canada anglais au sujet de l’ouverture du Québec face aux immigrants, elles risquent de rétrécir encore plus la marge de manœuvre des libéraux fédéraux – s’ils en ont une – car leur électorat au Canada anglais, en particulier en Ontario où se jouera la prochaine élection fédérale, est avant tout urbain et culturellement pluraliste. Il ne faut pas oublier non plus que le PLC est minoritaire et dépend du NPD, un défenseur inébranlable du multiculturalisme, pour se maintenir au pouvoir.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, s’est clairement opposé au transfert des pouvoirs revendiqués par Québec, rappelant que l’immigration est une compétence exclusive du fédéral. En fait, l’immigration est une prérogative des États souverains, un point qu’on rappelle volontiers du côté d’Ottawa, raconte un haut fonctionnaire québécois interrogé dans le cadre d’un reportage pour le magazine L’Actualité l’hiver dernier.

Le PLC et le NPD se montrent ouverts au principe d’asymétrie en faveur du Québec, mais leur base à l’extérieur du Québec a une vision hiérarchisée du fédéralisme, le fédéral n’étant pas un égal parmi ses pairs. Cette conception s’accompagne de forts réflexes centralisateurs. Il n’est pas rare de retrouver dans les deux partis des propositions en faveur de normes, stratégies, plans ou programmes «nationaux» (pour dire fédéraux ou pancanadiens) dans des domaines de compétence provinciale comme la santé et les programmes sociaux.

Les moyens envisagés peuvent varier d’un parti à l’autre. On l’a vu quand, en pleine campagne québécoise, le gouvernement Trudeau a annoncé sa Prestation dentaire canadienne, une façon d’apaiser le NPD qui a fait de la création d’une assurance dentaire pancanadienne une condition à son appui aux libéraux. Les provinces se sont déjà opposées au projet du NPD qui serait un empiètement dans leurs plates-bandes. Si la prestation, elle, a fait bien peu de vagues, c’est parce qu’elle se limite à une aide financière ciblée.

Front commun des provinces en santé

En revanche, les discussions sur les transferts fédéraux en santé piétinent alors que l’urgence d’y investir n’a jamais été aussi flagrante que depuis le début de la pandémie. Les provinces font front commun dans ce dossier et exigent qu’Ottawa éponge 35 % de la facture des soins de santé publics plutôt que les 22 % actuels. Cela représenterait une augmentation du Transfert canadien en matière de santé (TCS) de 28 milliards $ dès la première année.

Le gouvernement Trudeau n’a cessé de dire qu’il ne discuterait pas d’une hausse du TCS avant la fin de la crise sanitaire, mais proposerait des investissements ciblés pour l’embauche de médecins et de personnel, l’amélioration des soins de longue durée et l’accès aux soins de santé mentale. Les provinces rejettent l’idée de morceler le financement et, en plus, de l’assortir de conditions, contrairement au TCS.

L’hiver dernier, dans le cadre d’une entrevue pour le magazine L’Actualité, le ministre fédéral des Affaires intergouvernementales, Dominic Leblanc, me confiait qu’Ottawa voulait avoir l’assurance que les fonds seraient utilisés à bon escient. «Le problème qu’on a – probablement pas au Québec pour être correct avec M. Legault – est que d’autres provinces vont plutôt baisser les impôts ou équilibrer leur budget», a-t-il dit.

Il ne pensait pas à M. Legault, disait-il, mais les promesses de diminution d’impôts du chef caquiste ne l’ont sûrement pas rassuré et ne sont pas de nature à atténuer les attentes fédérales en matière de balises, objectifs communs et conditions.

Trouver son compte

La victoire de François Legault n’a pas non plus mis le couvercle sur la possibilité qu’Ottawa intervienne devant la Cour suprême si s’y rendent les contestations judiciaires contre la Loi sur la laïcité ou la loi 96 réformant la Charte de la langue française.

Cela ne veut pas dire que MM. Legault et Trudeau ne peuvent pas s’entendre. Tout dépend si chacun peut y trouver son compte. Ce fut le cas avant les dernières élections fédérales de 2021 dans de multiples dossiers où les fonds fédéraux facilitaient la réalisation de promesses faites par la CAQ en 2018 tout en moussant au Québec l’image des libéraux fédéraux à la veille d’une campagne imminente.

Le plus important accord portait sur les garderies, Ottawa acceptant de verser au Québec, et sans condition, sa part des fonds du programme fédéral, soit environ six milliards $ sur cinq ans. Dans les mois précédant la campagne fédérale, Québec et Ottawa se sont entendus sur le logement abordable, la relance du secteur aérospatial, les travailleurs étrangers temporaires, le déploiement de l’internet haute vitesse, l’assemblage de batteries pour véhicules électriques…

Il reste toujours le dossier du troisième lien entre Québec et Lévis, mais Ottawa ne se mouillera pas tant qu’aucun projet précis ne sera sur la table, Et il est bien connu que le fédéral n’entend financer que les infrastructures de transport collectif.

Dans les faits, le rapport de force n’a pas changé le 3 octobre dernier. Dans les faits, il est peut-être même moins favorable à M. Legault qu’il ne l’était dans les mois précédant les élections fédérales de 2021 quand Justin Trudeau avait besoin de lui.

Lien :

Article de l’Actualité :

https://lactualite.com/politique/relations-quebec-canada-lapproche-de-francois-legault-fonctionne-t-elle/

 

Un commentaire

  1. Yvon Forget 15 octobre 2022 à 1:11 pm-Répondre

    Merci pour une très bonne analyse de la situation politique Ottawa vs Québec.

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