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Rudy Le Cours
Un joli gain en capital en vue avec ce triplex.
On exige toujours plus de l’État. Le vieillissement de la population, les changements climatiques, les élèves en difficulté, le logement abordable, les transports collectifs, l’entretien de nos infrastructures délabrées ou la sécurité des citoyens et des frontières: tout cela sollicite davantage le Trésor public. Le déficit anticipé de Québec est de l’ordre de 10 milliards, celui d’Ottawa, quatre fois plus, pour l’année en cours. Québec ne veut augmenter ni taxes, ni impôts, sans pour autant recourir à l’austérité, mais la faible croissance prévue ne peut combler l’écart à elle seule. Que faire ? Est-il possible d’élargir l’assiette fiscale, étendre la main du fisc là où on n’a pas encore osé aller piger ou, à tout le moins, mieux taxer et mieux imposer, tout en colmatant les fuites ?
Rudy Le Cours
Alourdir le fardeau fiscal ne fait pas partie de l’ADN du gouvernement caquiste, c’est connu.
Les caisses étant vides, il se prête désormais à des faux-semblants pour éviter de donner l’impression de renier sa parole. Il n’a pourtant pas hésité à le faire dans d’autres dossiers, comme le troisième lien routier entre Lévis et Québec ou les maternelles quatre ans.
Ainsi, il a d’abord accordé aux municipalités le pouvoir d’imposer une taxe sur les droits d’immatriculation des véhicules, afin de se dédouaner en partie de sa responsabilité de financer le transport en commun. Ce faisant, il décharge sur les maires et les mairesses, des quêteux selon le premier ministre François Legault, l’odieux d’imposer cette taxe, sachant que ces élus feront face à l’électorat l’an prochain, soit un an avant les élections provinciales.
Le ministre des Finances Eric Girard s’est quant à lui empressé d’harmoniser le taux d’inclusion du gain en capital, majoré de 50 % à 66 2/3 % par son homologue fédérale Christya Freeland. À la clé, environ un milliard de plus qui comblera un peu son déficit anticipé de quelque 11 milliards. Il fait la sourde oreille devant les cris d’orfraie des apôtres du statu quo, laissant la ministre Freeland porter le chapeau. Ce qu’elle fait avec courage et pédagogie.
Il ne faudra pas s’étonner si Québec recourt à d’autres astuces au cours des prochains mois, mais elles ne suffiront pas à elles seules à renflouer le Trésor public.
De nouvelles taxes ?
S’il est vrai que l’harmonisation des deux régimes d’imposition reste souhaitable, Québec a le loisir de faire cavalier seul.
Le meilleur exemple récent est survenu en 2018. Le ministre québécois des Finances d’alors, Carlos Leitão, a étendu l’application de la taxe de vente québécoise, de 9,975%, aux exploitants d’une plate-forme numérique. Ottawa se refusait à le faire, lui qui s’était engagé à ne pas imposer de «taxe Netflix» dans un premier mandat (1). Dans ce cas, c’est plutôt Ottawa qui s’est ensuite harmonisé avec Québec.
Avant lui, le premier ministre Jean Charest avait favorisé la mise en place d’une Bourse du carbone. En place depuis 2013, elle a rapporté 1,5 milliard, l’an dernier seulement (2), et n’est pas contestée comme la «taxe carbone » fédérale.
« L’éco-fiscalité est prometteuse. Outre le fait qu’elle rapporte de l’argent, elle permet de corriger des externalités », indique par courriel Pierre-Carl Michaud, professeur titulaire HEC Montréal, chaire de recherche Jacques Parizeau en politiques économiques.
Toutefois, sa mise en place exige de l’innovation. Aussi, bien que souhaitable et équitable, une taxe sur le kilométrage des véhicules requiert des technologies et une réglementation serrée pour les imposer aux constructeurs et aux revendeurs. Elles n’existent toujours pas.
Chemin faisant, il faudrait aussi empêcher les corrupteurs at autres parasites auxquels les Montréalais se sont frottés sous l’administration laxiste de Gérald Tremblay, dans la mise en place ratée des compteurs d’eau.
De l’imagination faute d’innovation
De tout temps, les gouvernements ont cherché à taxer les biens ou les services pour se financer : depuis la gabelle médiévale sur le sel, un agent de conservation essentiel à l’époque, jusqu’à la taxe française sur les pylônes pour compenser les balafres aux paysages (3), sans oublier la récente taxe albertaine sur les véhicules électriques qui diminuent les redevances pétrolières. L’imagination des gouvernements a d’ailleurs inspiré Taxman, une chanson des Beatles toujours d’actualité (4).
« Il n’y a pas des tonnes de champs vierges ! », ironise dans un échange de courriels Luc Godbout, titulaire de la chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Lui vient néanmoins à l’esprit la taxation des boissons sucrées.
Cette taxe, promue par l’Institut national de la santé publique, mais combattue par le lobby des embouteilleurs avant d’être rejetée par le gouvernement Legault l’an dernier, vise avant tout à stimuler de meilleures habitudes alimentaires plutôt qu’à gonfler les recettes publiques (5). Un peu à la manière de la taxe spécifique sur le tabac, cette nouvelle ponction aurait sans doute généré peu de recettes fiscales.
En s’inspirant de Terre-Neuve-et-Labrador où elle existe déjà, le MAPAQ avait calculé à partir du recensement de 2016 qu’une taxe de 20 % sur les boissons gazeuses (y inclus les diètes), les laits aromatisés, les boissons énergisantes ou aux fruits aurait rapporté une soixantaine de millions. À cette somme, on pourrait ajouter des économies difficilement chiffrables de quelques millions au ministère de la Santé, au fil des ans.
Les données de 2022 du MAPAQ indiquent une hausse de 26% de la valeur de cette consommation de calories vides. « On peut donc probablement ajouter 25 % à ce montant », estime Antoine Genest-Grégoire, professeur adjoint en fiscalité de l’Université de Sherbrooke, dans un courriel. Ce qui nous fait tout juste 75 millions.
Le gouvernement Legault, chantre autoproclamé de la laïcité, refuse par ailleurs de lever l’exemption de l’impôt foncier dont bénéficient les communautés religieuses, en vertu de la Loi sur la fiscalité municipale. Cela prive les villes du Québec de plus de 180 millions par année (6).
Taxer plutôt qu’imposer
Faute d’exploiter d’autres champs de taxation, Québec peut calibrer mieux ce qu’il perçoit. « L’option hausse des taxes à la consommation plutôt que de l’impôt sur le revenu était déjà défendue par le Livre blanc sur la fiscalité de Parizeau en 1984 et a été réitérée par la Commission sur la fiscalité de Luc Godbout en 2014 », nous rappelle l’économiste et professeur émérite Pierre Fortin.
Dans un article récent paru dans la Revue fiscale canadienne, une brochette d’économistes québécois a calculé les rentrées fiscales additionnelles, si on augmentait d’un point de pourcentage la taxe de vente (de 9,975 % à 10,975 %) et diminuait d’autant l’impôt sur le revenu des particuliers perçu en 2020. Les recettes supplémentaires seraient de 408 à 1572 millions par année, à l’horizon 2060, selon leur modèle. Dit autrement, on parle d’un pactole total estimé à de 11,5 jusqu’à 44,7 milliards, en dollars constants de 2020 (7). Bien alloué, cet argent peut amplement compenser les personnes désavantagées par cette nouvelle ponction sur la consommation plutôt que sur le revenu, soutiennent-ils.
Taxer davantage la consommation que le revenu n’a rien d’inusité. En France, par exemple, la taxe sur la valeur ajoutée s’élève à 20 %, en Italie à 22 %, en Suède à 25 %.
Ce qui fait problème au Québec, ce sont ses voisins. Même si quatre autres provinces ont une taxe de vente harmonisée de 15 %, équivalente à cette du Québec (8), elle s’élève à 13 % en Ontario tandis que la morsure du fisc des États américains est beaucoup moins douloureuse.
En outre, à la différence de la TVA européenne, incluse dans les prix de vente, les taxes canadiennes à la consommation s’additionnent aux prix affichés, ce qui les rend plus indigestes et nourrit l’économie souterraine, surtout dans le secteur des services.
Ottawa a le gros bout du bâton
Cela dit, beaucoup d’initiatives doivent être prises par Ottawa, souvent de concert avec d’autres pays. Par exemple, comme 137 autres pays, le Canada a adhéré à un accord international qui imposerait un impôt minimum de 15 % aux grandes entreprises. Chaque pays traîne de la patte depuis.
Du temps du gouvernement de Stephen Harper, réfractaire à toute nouvelle taxe, son ministre des Finances Jim Flaherty avait tué dans l’œuf l’idée d’imposer une taxe sur les transactions financières, lors du sommet du G-20 à Toronto en 2010. Cette taxe, imaginée par Jim Tobin, prix Nobel d’économie, remontait en grâce aux lendemains de la crise financière, provoquée par le trop faible encadrement des institutions financières.
Même au prix fixe d’un cent par transaction, cette taxe pourrait rapporter des milliards … si tous les pays s’entendaient afin d’éviter le déplacement du négoce des produits financiers là où la taxe ne serait pas appliquée. Il faut garder à l’esprit que les valeurs mobilières sont très … mobiles.
Le Canada a aussi signé pas moins de 94 conventions fiscales bilatérales, dont beaucoup avec des pays à très faibles taux d’imposition et profonde opacité. Résultat, moult capitaux sont parqués dans des micro-économies où ils engraissent à l’abri de la morsure fiscale d’Ottawa ou de Québec. Ainsi, les sociétés canadiennes ont réalisé aux Îles Caïmans des investissements directs de 45 644 milliards en 2022, une économie dont la taille (PIB) était alors de 1,92 milliard; à la Barbade, de 95,14 milliards dont le PIB s’élevait à 7,5 milliards (9).
Fortunes et philanthropies
Il est possible aussi de lever un léger impôt sur les fortunes. Ressources en mouvement, un lobby formé de quelque 200 jeunes fortunés, préconise une ponction pouvant aller jusqu’à 1 % sur des actifs de grande valeur ou détenus dans des fiducies, par des entreprises à participation restreinte ou par des enfants mineurs (10). Un tel impôt existe en Norvège et en Espagne et est fortement défendu par l’économiste Thomas Piketty. Il y voit une forme de progressivité puisque le capital croît plus vite que les salaires. On n’a aucune peine à imaginer la levée de boucliers que la seule évocation de l’idée susciterait.
On pourrait enfin resserrer les règles qui permettent aux philanthropies d’échapper à l’impôt. L’argent qui y est déposé par de grandes fortunes pour soutenir leurs causes privent les gouvernements d’argent pour financer les priorités pour lesquelles on les a élus. Après tout, un don doit être un don plutôt qu’un détournement d’impôt à payer, ce qui est la raison d’être des philanthropies.
L’art de taxer, de gouverner, c’est aussi s’assurer que la fiscalité ne soit pas contre-productive, en favorisant, par exemple, l’évasion ou l’accumulation passive à l’étranger, deux fléaux à combattre.
Encore faut-il que les revenus des particuliers soient tous traités de la même façon, comme du salaire le plus possible, et restreindre les traitements de faveur pour ce qui est considéré comme du capital. Avec le budget Freeland, le taux effectif d’imposition des ultra-riches sera de 31 % cette année, contre 45,7 % pour un salarié de 100 000 $ (11).
4- https://www.youtube.com/watch?v=l0zaebtU-CA
5- https://www.inspq.qc.ca/publications/2395
6- https://www.ledevoir.com/politique/730332/le-conge-de-taxes-des-lieux-de-culte-remis-en-question?
7- https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4343854
8- L’Île du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick, la nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador.
9- Stat. Can. Tableau 36-10-0008-01, cité par Brigitte Alepin
10 – https://www.resourcemovement.org/post/5-choses-à-connaître-sur-les-impôts-sur-la-fortune-2?lang=fr
11- Brigitte Alepin et https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/outils-ressources/guide-mesures-fiscales/bareme-imposition-particuliers/
Rudy Le Cours
Terre-Neuve-et-Labrador taxe les boissons sucrées.