Classicisme et élégance de M. Charlap
Dans le monde-mondial du jazz d’aujourd’hui et d’hier, mais non de l’avant-hier, le plus classique des pianistes qui embellissent avec méticulosité, le présent du jazz et donc son avenir s’appelle Bill Charlap. On insiste : plus classique que Bill, tu meurs, diraient les jeunesses abonnées à « t'sais genre comme ».
N’oublions pas Steve Grossman
L’affaire est entendue : le 17 juillet 1967, John Coltrane est mort bien avant son temps. À preuve, le jour d’après fut ponctué par l’unanimité que résuma fort bien Miles Davis: « Sa mort nous a tous pris par surprise … Je ne savais pas qu’il était malade. » Le surlendemain, l’esprit de veille que commande le deuil fut d’autant plus aiguisé que le parcours de Trane fut, quand on s’y arrête, passablement court. Le premier enregistrement sous son nom, Giant Steps, fut publié en 1960. Et puis, et puis, il y a que les cadors du saxe, ceux qui grimpent l’Everest musical soir après soir, étaient aux abonnés absents. Bon, sautons du temps. En novembre 1969, Miles Davis engageait Steve Grossman pour l’enregistrement de Big Fun. Ce dernier était un jeune saxophoniste de 18 ans seulement, originaire de Brooklyn. À 10 ans, il transcrivait les solos de Charlie Parker. À 16 ans il « parlait » couramment le Coltrane. À 17 ans, il avait été accepté à la célèbre Juilliard School of Music.
Hier Blakey, Silver, Adderley, aujourd’hui Herring
Pour paraphraser tonton Georges, le Brassens qui voisine Paul Valéry sur les hauteurs de Sète, au cimetière pour être exact, mieux vaut vivre pour une idée que de mourir pour elle. L’an dernier, le saxophoniste Vincent Herring en a attrapé une, d’idée. Et une si bonne qu’il l’a méditée, touillée dans toutes les harmonies sonores possibles comme imaginables.
Le Maître est mort
Le 22 juillet dernier John Mayall est mort. Il avait 90 ans. C’est bête à dire, mais on se doutait depuis quelque temps qu’il était à deux doigts de jouer la dernière note. On s’en doutait pour une raison aussi simple que nette : il y a un an et trois mois, ce Britannique vétéran de la guerre de Corée avait annoncé qu’il mettait un terme aux tournées.
Ben Sidran : homme de lettres
Il y a eu Mose Allison. Puis il y a eu et il y a toujours, heureusement pour nous, Ben Sidran. Le premier fut chanteur, pianiste, auteur, compositeur, accompagnateur, poète, raconteur, commentateur politique et homme de lettres très influencé par William Faulkner. Quoi d’autre ? Il était un original.
Lloyd: entre raffinement et recueillement
Il y a longtemps, le saxophoniste et compositeur Charles Lloyd était grand. Longtemps, mais encore demandera-t-on ? Depuis les années 60 et plus précisément depuis la publication de l’album Forest Flower. Depuis ce temps lointain, il est resté grand. Avec Sonny Rollins, Benny Golson et Roscoe Mitchell il est membre de la bande des vieux grands. John Zorn, Steve Coleman? Ils sont plus jeunes.
La puissance de maître Peterson
Edward Kennedy Ellington dit Duke Ellington avait coutume de dire qu’Oscar Peterson était le ‘maharaja du piano’. Quant il ne soulignait pas cela, il conseillait de ne jamais s’asseoir au piano après Peterson car si tel était le cas la comparaison avec ce dernier se traduirait par la mise en miettes du quidam ayant osé défier « ze master ».
Les grands témoins: B. Williams et E. Henderson
Le nouvel album du trompettiste Eddie Henderson s’intitule Témoin de l’histoire. Il l’a bien nommé, son album publié par l’étiquette Smoke Sessions qui ose encore produire du jazz et non du « jazz-machin-chose-hip-hop-école russe du piano-rap-fusion ». Il est si ben nommé qu’il pourrait être imprimé sur la pochette du dernier disque du contrebassiste Buster Williams. On devrait ajouter immense contrebassiste, car sur cet instrument avec ses camarades Ron Carter, Cecil McBee et Christian McBride mister Williams est dominant.
Les combats d’Archie Shepp
Une fois par mois, parfois moins, le New York Times propose une rubrique intitulée ‘5 minutes pour apprécier un musicien de jazz’ ou un courant de cette musique. Ainsi, au cours de la dernière année, ce temps a été accordé au Miles Davis électrique, au jazz d’avant-garde, à Wayne Shorter ou encore au jazz de l’antiquité, soit évidemment celui de La Nouvelle-Orléans.
Coltrane au rabais
Aujourd’hui c’est «craignos», comme ils disent ces temps-ci dans la fournaise marseillaise. CQFD: nous voici donc confrontés, c’est sérieux, au devoir de précaution. En d’autres mots, les plus clairs d’entre eux, nous sommes dans l’obligation de camper le rôle du garde-chiourme des consommateurs avertis. Car il y a bel et bien anguille sous roche. Financière l’anguille, c’est à retenir.
La trompette oubliée d’Howard
Lorsque le destin du bipède qui n’est pas né avec une cuillère d’argent entre les dents est heurté par le feuilleton des adversités, et qu’il faut dépeindre le destin en question, on a souvent recours à l’expression: c’est à pas de chance! Dans l’histoire du « plus meilleur jazz du monde », le trompettiste Howard McGhee résume cet état de la carrière meurtrie plus qu’aucun autre artisan des trois pistons.
Le nomade du jazz : Chet Baker
Le trompettiste Chet Baker est mort le 13 mai 1988 à Amsterdam. Il avait 58 ans. Au petit matin, un passant avait aperçu son corps au pied d’un hôtel de la ville où il se produisait souvent. Cette mise entre parenthèses définitive ainsi que son lieu ne résume pas, mais symbolise l’aventure musicale de celui qu’on surnomma des années auparavant le James Dean du jazz. Ce qu’il détesta profondément.
Rémi Bolduc, saxophoniste de la constance
De Rémi Bolduc, saxophoniste alto, on a toujours apprécié son souci appuyé pour la constance. « De-que-cé de la constance de quoi, par rapport à quoi ? », se demandera le vieux La Palice, trouble-fête en chef . Chez lui ou en lui, c’est au choix, la constance s’est toujours conjuguée avec l’exigence. Par rapport à lui, à son art, et bien évidemment par rapport à ses accompagnateurs.
La trompinette de Don Cherry
Ah, la distribution! Quel capharnaüm! Prenez le disque dit le CD dit le ‘record’. Un jour, on le voit, il est là, mis en vente. Le lendemain et les mois qui suivent, il a disparu. Mais bon, comme le hasard fait bien les choses, enseigne la sagesse dite populaire, voilà que parfois il réapparaît au catalogue d’Amazon, Delmark, Discogs et autres agents de la circulation musicale.
Monk : le génie à la puissance M3
Oh la la, comme le chantaient des rigolos britanniques dans les années 70. Oui « oh-machin-truc» , car nous voilà dans l’obligation d’en rajouter une couche. À quoi ? Au génie. Si l’usage de ce mot ne se conjuguait pas de nos jours avec l’inflation, nous n’aurions pas besoin de greffer au qualificatif en question une précision.
Le triomphe du batteur
On est content. « De-que-cé qu’elle est bonne la niouse ? » Pour Corey Weeds, on est content car une de ses toutes récentes productions a été classée parmi les cinq meilleures de l’année selon les magazines Down Beat et JazzTimes. Il s’agit de Valse sinistre par le batteur Billy Drummond et son groupe Freedom of Ideas publié par Cellar Live, l’étiquette fondée par Weeds.
Le doublé de Sun Ra
Le vieux nous gâte. Et pas à peu près, pour reprendre une formule chère aux antiquaires de la langue. Voilà que le vieux qui est en fait très vieux puisqu’il affiche 98 ans, dont plusieurs de ces ans perdus sur les fronts divers de la Deuxième Guerre mondiale, propose depuis peu un coup double. Lequel ? Patience !
Le jazz de conservatoire et le réel
Oui madame, oui môssieu, nous sommes propriétaires de quelque chose, on ne sait comment dire, de très rare. De-que-cé? Une confidence. Avouez que ce n’est pas donné à tout un chacun d’être actionnaire exclusif d’une confidence. Vous n’avouez pas ? No problema.
T. Butler : l’héritier singulier
Lorsqu’on suit le fil de la logique, le dé à coudre aidant sans l’usage de la redoutable aiguille, on finit par lire immanquablement le résumé suivant: il y eut tout d’abord Oscar Peterson, puis Oliver Jones et, ces jours-ci, Taurey Butler. Pianiste au jeu aussi puissant et dense que ses aînés, le sieur Butler propose un nouvel album en trio intitulé One of The Others sur l’étiquette montréalaise Justin Time.
Le jazz du poing levé
À Chicago, le jazz se joue encore et toujours le poing levé. La ville demeure en effet le chef lieu des contestataires qui y sont nés ou qui s’y sont installés. En d’autres mots, dans la ville des vents on souffle et on cisèle les notes qui font écho aux luttes syndicales, ici aussi intenses qu’à Detroit et davantage qu’à New York, et aux combats pour les droits civiques. Si les Black Panthers furent fondés en 1966 à Oakland, c’est à Chicago qu’ils installèrent leur siège social.
Le jazz de Paul Auster
On ne sait pas ou si peu, mais l’écrivain Paul Auster adore le jazz. Oui, on sait, il n’est pas le seul, les galériens de la périphrase formant un contingent d’amateurs de la note bleue. Mais voilà, aucun d’entre eux ne peut se vanter d’être à la tête du «plus-meilleur» club de jazz de Nueva Yorke, comme disent les Porto-Ricains de East-Harlem.
Les paysans par R. Cooder et T. Mahal
Pour employer un lieu commun, disons que les vieux du jour - Taj Mahal, 80 ans et Ry Cooder 75 ans -, ont bouclé la boucle récemment par le biais de la réincarnation musicale de plus vieux qu’eux qui, eux, s’appelaient Sonny Terry et Brownie McGhee. Pour faire court, Cooder et Mahal proposent depuis peu un album intitulé Get On Board, publié par Nonesuch, et qui est fait de pièces signées McGhee et Terry.
La liste sans les … vices !
La dernière fois que l’idée a bousculé nos neurones elle avait pour origine le mensuel Jazz Times. Avant ce dernier, l’idée du sujet du jour nous était venue de Jazz Hot puis de Jazz Magazine, Jazziz, DownBeat, Jazz Journal sans oublier les quotidiens au premier rang desquels on retrouve évidemment le New York Times. L’idée du sujet du jour (bis, repetita) se résume en un mot et un seul : liste !
Deux encyclopédistes au piano
Jean-Michel Pilc joue autant du piano qu’Ethan Iverson n’en joue et vice comme versa. Non seulement ces deux lascars se penchent jour après jour, il est facile de l’imaginer, sur le même instrument, ils ont également en commun d’être des virtuoses.
L’hénaurme Mingus
Le 22 avril dernier, Charles Mingus, le monumental parmi les nobles du jazz, aurait eu 100 ans. Histoire de singulariser l’importance de cette date, de la sortir de son apparente banalité, le label Résonance publiait le lendemain un inédit intitulait Mingus - The Lost Album From Ronnie Scott’s, sous la forme de deux CD ou trois vinyles.
Cellar Live ou la force du jazz
Avec des bouts de ficelle et les trois fois rien, quand ont peut leur mettre la main dessus évidemment, le saxophoniste Cory Weeds, ténor de l’Ouest, a fait de Cellar Live l’un des meilleurs labels de jazz qui soit. Où donc? Dans le monde. Rien de moins. On ajoutera qu’il a fait cela avec la force que l’on prête au poignet. Le droit ou le gauche ? On n’en sait rien. Bien.
William Parker, enfin !
Il paraîtrait que la surprise est parfois divine. Il y a peu, elle le fut pleinement lorsqu’on a appris que William Parker avait été sacré ‘Musicien de l’année’ par les critiques du mensuel JazzTimes. Qu’un des précurseurs du courant baptisé «loft jazz», dans les années 70, qu’un ex-compagnon de Cecil Taylor, qu’un animateur culturel, un défenseur constant des droits des habitants du Lower East Side à New York soit qualifié artiste de l’année a autant étonné que ravi.
Le pianiste qui venait du froid
L’ univers du jazz ne fait pas exception. Comme l’autre, notre monde, il a ses détectives privés. Ses Sherlock Holmes et sa formule 7, ses Nestor Burma qui met le mystère KO, ses Philip Marlowe qui fume trois Camel en même temps qu’il sirote un Dry Martini. Et que font les correspondants musicaux de ces derniers ? Ils traquent les enregistrements inédits. Parfois les rares partitions, mais c’est d’abord et avant tout la recherche de l’inédit pour laquelle ils perçoivent de la «grosse argent sale», comme disait l’autre.
Maître Harris n’est plus
On le sait peu, mais Detroit est la ville où sont nés le plus grand nombre des « plus meilleurs » musiciens de jazz. Elvin Jones, Ron Carter, Kenny Burrell, Pepper Adams, Geri Allen, Thad Jones et beaucoup d’autres ont grandi dans ces environs. C’est surtout au piano que les enfants de la ville des moteurs, qui a dominé le Dow Jones et ses affidés pendant des lunes, se sont distingués. Leurs noms ? Tommy Flanagan, Hank Jones, Sir Roland Hanna et Barry Harris.
SUN RA AUX GRAMMYS …
Il est vieux. Passablement vieux. À preuve, il a aujourd’hui 97 ans et 6 mois. Il l’est assez, vieux, pour avoir fait la Deuxième Guerre mondiale au sein de la 92e division d’infanterie. Sur quel front? Celui qui commença en Normandie et s’acheva à Berlin.
L’amour suprême, selon Coltrane
La découverte musicale de l’année, voire des dernières années, a pour nom propre Coltrane. John de son prénom, évidemment. De quoi s’agit-il ? D’un enregistrement «assigné à résidence» dans le sous-sol d’un bungalow de Seattle pendant 60 ans. Le programme? L’interprétation intégrale de son chef-d’œuvre dans un club de la ville baptisé Penthouse, et que la maison de disques Impulse! vient tout juste de publier sous le titre A Love Supreme – Live in Seattle.